Trois têtes pensantes de la mode réunies à l’International Talent Festival (ITS) nous parlent de leur vision du secteur aujourd’hui et son futur.
Cet été, lors du festival de mode italien ITS dédié aux jeunes talents, Les Inrocks sont partis à la rencontre de trois membres de son prestigieux jury pour savoir s’il était encore même éthique de promouvoir la création à l’heure actuelle et pour tâter le pouls d’une jeunesse face à un futur en mutation. Questions croisées entre Miren Arzalluz, directrice du musée de mode parisien Palais Galliera, Glenn Martens, créateur à la tête de la maison Y/Project, et Gianluca Cantaro, rédacteur en chef du site Nowfashion et anciennement chez Vogue.
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Sur l’écologie
Gianluca Cantaro – La mode éthique pêche souvent encore du côté design. Les références à l’environnement sont rendues hyper visibles et littérales, alors qu’il faudrait penser à un luxe au look aussi pointu qu’un Gucci ou Balenciaga, et dont le côté green est là, en plus du reste, sans en faire son atout central. Cela permettrait de sensibiliser et attirer un public d’habitude peu soucieux de l’environnement. Dans un monde de mode où tout semble avoir déjà été créé, ce n’est pas faire une veste à trois manches qui est radical mais penser à un produit des plus désirables et tout aussi green. C’est à la jeunesse de partir à la rencontre des nouvelles solutions et des techniques actuellement en développement.
Glenn Martens – Le business du luxe est hyper saturé, c’est une industrie qui attire par le rêve, mais la jeune génération est consciente qu’elle est dans la deuxième industrie la plus polluante au monde et c’est fascinant de voir comment cette réflexion est explorée, c’est une partie centrale de leur préoccupation, ce qui est nouveau.
Miren Arzalluz – L’éco-responsabilité reflète une sorte de glissement dans notre rapport et notre sens d’appartenance au monde, vers de nouvelles quêtes de liberté et d’espoir.
Sur le pouvoir communicatif de la mode
Miren Arzalluz – Je remarque (parmi les nominés au ITS, ndlr) une grande sensibilité. J’ai été touchée par leur désir de travailler et penser la mode de façon plus intime, d’en faire une expérience entre soi et soi-même. C’est une nouvelle façon de porter les choses, de communiquer avec les autres. L’objet peut être vu de tous ou caché et ressenti par soi-même. Je sens une place fluctuante dans la relation entre corps et ornement, un désir d’une nouvelle intimité, et une vraie place pour des objets qui remplissent ce besoin.
Glenn Martens – Le luxe n’apporte pas quelque chose de vital à proprement parler, le créateur est vraiment là pour apporter de la beauté, de l’émotion, cela a un effet psychologique. Les gens ont envie qu’on leur raconte un conte de fée, qu’on les emmène s’évader hors de leur réalité.
Gianluca Cantaro – Aujourd’hui, les gens sont devenus des médias à part entière. Un influenceur est un média qui a le vent en poupe, qui a un point de vue stylistique, qui encourage des ventes, qui communique. Il est urgent que la presse traditionnelle reconnaisse ce nouvel espace et cette nouvelle puissance d’expression.
Sur l’accélération des tendances
Gianluca Cantaro – La créativité a changé de comportement et a suivi les demandes du marché. Le piège est que l’on finit par reproduire ce qui est dans l’air du temps. C’est essentiel de faire ses recherches, prendre du recul, car le futur de la mode sera impardonnable avec ce qui a déjà été vu.
Miren Arzalluz – Les tendances s’accélèrent, tout comme les expositions de mode. Il faut que chacun développe son propre vocabulaire de curating (sélection, ndlr) de mode : dans le cas d’une exposition et d’une mise en scène, le but n’est pas que de fasciner – bien que ça soit inévitable dans cette industrie du rêve – mais aussi de faire réfléchir, pas seulement attirer du public et du clic.
Glenn Martens – En tant que marque de luxe, c’est important de délivrer un message pour le futur et de le faire à sa façon. Il ne faut jamais oublier que la mode a un impact mondial, sa communication est suivie par des milliards de personnes. Elle peut donc toucher des gens à différents niveaux. Il faut penser à ce que l’on montre mais aussi à ce que l’on dit.
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