Le premier roman de Marin Fouqué, 77, hurle à la mort et à la vie dans un patelin de Seine-et-Marne. Et donne voix et grâce aux sans-noms. Fulgurant, politique, moderne. Le choc littéraire de la rentrée.
C’était l’année dernière. Ou avant-hier. Ou il y a cinq minutes. Assis sur le banc d’un Abribus où il attend le car de ramassage scolaire, un adolescent se souvient. D’un chiffre, 77, et de quelques couleurs, à ses yeux primordiales, évoquées par les voitures qui passent : noire, rouge, bleue, grise, verte, blanche, orange, métallisée. Un chiffre et des couleurs. Ce n’est pas le nom d’un nouveau jeu télé, c’est la martingale gagnante d’un premier roman fracassant du jeune (28 ans) Marin Fouqué, rappeur, poète, performeur, boxeur.
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Le sept-sept
77, c’est le titre du livre, qu’il faut dire comme le narrateur : le sept-sept, “comme une salve qui brise le silence.”
Le sept-sept comme la Seine-et-Marne, et plus précisément le sud-77 “qui sonne plus exotique”, aux alentours de Vernou-la-Celle-sur-Seine. “Chez nous, c’est vert, c’est gris et c’est marron. Surtout marron.” Par ailleurs, comme chez Verlaine, le ciel est par-dessus le toit : “Les nuages, une forteresse qui devient un chien qui devient un cheval qui devient un bateau qui devient un flingue qui devient une bagnole qui devient une masse qui devient une gueule.”
“Vraiment dingue comme on pense intense sous l’abri.”
Joint après joint, du shit plus gras que la terre, le jeune héros ressasse : “Vraiment dingue comme on pense intense sous l’abri.” Et des acidités lui remontent : la trahison de son copain Enzo, fils de “profs hippies laxistes”, passé de l’école publique à la catho ; la défection de la fille Novembre, bagarreuse hors pair, qui, elle aussi, est maintenant chez les bourges à Fontainebleau sous son vrai prénom de Katarina ; le trouble d’un nouveau venu, le grand Kevin : “Son jogging bas des reins qui l’empêche de marcher, sa main gauche qui tire sur son boxer, la pièce de Lycra épousant parfaitement ses formes.”
Un roman d’électrocuté
C’est quoi ce bastringue ? Le Club des Cinq sous crack ? Plutôt la conjuration des pas-grand-chose. A commencer par le préposé à la rumination : “Corps de lâche, gueule fine et triste surnom : Mignonne.” Mignonne ? Tout est dit sans qu’il soit besoin d’expliquer.
Les doigts dans la prise de notre temps, 77 est un roman d’électrocuté. Ses étincelles foudroient, son style est nucléaire, son rythme, éperdu. Entre castagnes et rêves de quand, Marin Fouqué, aède moderne, chante pour les sans-fonds de notre monde, des gilets moins que jaunes, des gilets marron, rédimés en seigneurs de la glaise par la puissance de son verbe. A grands flux, un écrivain est né.
77 (Actes Sud), 256 p., 19 €
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