Le 65ème Festival de Venise est terminé. A qui le Lion d’or ? Découvrez les choix du jury présidé par Wenders et l’analyse de notre envoyé spécial.
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Dernier jour – Palmarès et bilan
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> Palmarès de la 65e Mostra de Venise :
Samedi soir, le jury, composé de Juriy Arabov, Valeria Golino, Douglas Gordon, Lucrecia Martel, John Landis, Johnnie To et de son président Wim Wenders, a remis les prix suivants :
Le LION D’OR du meilleur film : The Wrestler de Darren Aronofsky (E.-U.)
Le LION D’ARGENT du meilleur metteur en scène : Alexis German Jr. pour Bumažnyj Soldat (Paper Soldier) (Russie)
Le prix SPECIAL DU JURY : Teza de Haile Gerima (Ethiopie, Allemagne, France)
La COUPE VOLPI du meilleur acteur : Silvio Orlando pour Il papà di Giovanna de Pupi Avati (Italie)
La COUPE VOLPI de la meilleure actrice : Dominique Blanc pour L’autre de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic (France)
Le prix MARCELLO MASTROIANNI du meilleur jeune acteur ou de la meilleure jeune actrice : Jennifer Lawrence pour The Burning Plain de Guillermo Arriaga (E-U)
L’OSELLA de la meilleure image : Alisher Khamidhodjaev et Maxim Drozdov for Bumažnyj Soldat (Paper Soldier) d’Alexei German Jr. (Russie)
L’OSELLA du meilleur scénario : Haile Gerima pour Teza (Ethiopie, Allemagne, France)
Un LION d’or spécial pour l’ensemble de son oeuvre à Werner Schroeter pour “ his uncompromising and relentlessly innovative work over a period of 40 years” (en gros : pour n’avoir jamais abandonné, pendant quarante ans, sa quête l’innovation).
Le prix “LUIGI DE LAURENTIIS” du premier film a été décerné à l’unanimité par un jury présidé par Abdellatif Kechiche et composé d’Alice Braga, Gregory Jacobs, Donald Ranvaud et Heidrun Schleef, à :
Pranzo Di Ferragosto de Gianni Di Gregorio (Semaine Internationale de la Critique)
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> Commentaire et Bilan :
Pas vu le German Jr, que j’ai raté (pas lui, apparemment) mais dont j’ai entendu dire le plus grand bien, ni le Aronofsky, projeté après mon départ… Il semblerait que la performance de Mickey Rourke soit éblouissante et déchirante.
Silvio Orlando, on le connaît bien, c’est un des acteurs fétiches de Nanni Moretti depuis des années. Il jouait notamment dans son dernier film, Le Caïman. Je n’ai pas vu le film – d’habitude, aller voir un film de Pupi Avati, c’est s’exposer à la culpabilité d’avoir gâché deux heures de sa vie – mais je sais que depuis une semaine, la presse italienne dans sa majorité, volontiers chauvine (je ne parle pas de la bonne et minoritaire critique italienne), ne cessait, par voie de presse, d’exiger qu’Orlando soit récompensé… Va pour Orlando.
Dominique Blanc, le journaliste des Inrockuptibles, avec sa légendaire objectivité, ne cessait, depuis une semaine de s’égosiller pour qu’elle reçût le prix d’interprétation féminine. Merci Wim, Lucrecia, Johnnie, Juriy, Valeria, Douglas et John et bravo Dominique (et Pierre et Patrick). Je précise que je ne connais aucun d’entre eux, je fais juste semblant.
Nous nous réjouissons également que Teza ait été récompensé deux fois, et que Werner ait reçu l’hommage qu’il mérite. On regrettera, au palmarès, l’absence du film de Tariq Teguia, qui plairait beaucoup à Vincent Gallo.
De cette Mostra, je retiendrai, au contraire de la presse italienne qui depuis 65 éditions se plaint de sa baisse de qualité – ce qui normalement, devrait situer ce festival au niveau de celui de Mamers dans la Sarthe – de sa constance dans sa recherche de qualité et d’exigence depuis l’arrivée de Marco Müller, son directeur, il y a trois ans. Certes, comme tout festival, Venise doit parfois affronter des hauts et des bas conjoncturels et incontrôlables dans la qualité de la production mondiale, subir la concurrence des autres grands festivals (tout le monde sait que l’un des buts du festival de Cannes est de griller le maximum de films à Venise) et notamment celui de Rome, qui va, fin octobre, avoir lieu pour la troisième fois (à tort ou à raison, il est apparu au fil des discussions que les sélectionneurs de Venise ont vraiment eu le sentiment désagréable que la presse romano-berlusconienne prenait un malin et suspect plaisir à dévaloriser leur travail…). Mais, hormis les concessions obligatoires et habituelles au star system (il faut bien garnir les tapis rouges de people – cette année Brad Pitt, Charlize Theron, George Clooney, etc…) et à la pression italienne (Pupi Avati, Ozpetek, le pire du cinéma transalpin), la sélection officielle nous a permis de voir monter en puissance des cinéastes auxquels nous sommes attachés et qui, effectivement, ont grandi (plus ambitieux, à la hauteurs de leurs prétentions) : je pense à Bernard/Trividic et Tariq Teguia. Plus quelques très beaux films, hors compétition, comme le Claire Denis, et le Myiazaki et le Kathryn Bigelow. Et notre chouchou (le film du cœur plus que de la raison), Stella.
La suite dans le prochain numéro des Inrockuptibles, le 16 septembre.
Merci et à bientôt,
Jean-Baptiste Morain
Jeudi 4 septembre – Jour 7
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Deux films très forts, dans des genres différents, ont clôt ma semaine vénitienne. D’abord, Gabbla (Inland), le nouveau film de Tariq Teguia, déjà auteur d’un magnifique premier long célébré dans nos colonnes, Rome plutôt que vous, présenté à Venise il y a deux ans et qui a depuis remporté le grand prix de la fiction au dernier festival de Belfort.
Inland est encore supérieur à Rome. Que s’y passe-t-il ? Rien, quasiment rien. Teguia est un artiste de cinéma, dans la lignée d’Antonioni, de Van Sant, il vous envoûte, vous hypnotise, vous plonge dans la psychée de personnages algériens plongés dans la marasme économique et surtout politique, comme figés par le poids social, l’injustice, révoltés mais impuissant. Sur fond de rock. Rome était un film sur Alger, Inland est un film sur le désert. Lors de la sortie de Rome, je crois me souvenir que Teguia m’avait confié que Rome était un film vertical et que son prochain film serait horizontal. C’est avec des principes de ce genre qu’on fait, qu’on produit, qu’on fabrique, qu’on construit des films, qu’on les met en forme. 2h10 totalement géniales, contemplatives, habitées.
Dernier choc (dans tous les sens du terme) : le nouveau film de Kathryn Bigelow, Hurt Locker, un film de guerre, l’histoire d’une équipe de déminage au coeur de la guerre en Irak. Un film haletant, qui ne se perd pas en discussions oiseuses, en leçons de morales, et va direct au foie. Les missions s’enchaînent, les soldats se battent entre eux (le film s’inscrit malgré tout dans la tradition américaine du film américain, avec conflit de caractère obligatoire entre le psycho-rigide et le héros trop cool). Bigelow, sans hypocrisie, montre la guerre, la mort, les explosion comme si vous y étiez, vous frissonnez. « La guerre est une drogue », annonce un panneau au début du film. Alors Hurt Locker est un film addictif qui vous prend dans les mailles de son filet pour vous salir vous aussi avec ceux qui font et aiment – d’une certaine manière – la guerre.
Me voici de retour à Paris. Lundi, je reviendrai sur le palmarès de cette 65e Mostra.
JBM
Mercredi 3 septembre 2008 – Jour 6
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Je repars demain soir et je m’aperçois que j’ai oublié de vous parler de quelques beaux films – et de moins beaux – projetés ces jours derniers. Comment rattraper ce retard ? En faisant au plus court.
Teza d’Halie Gerima où le cinéaste éthiopien raconte son exil en Allemagne, son retour pour participer à la Révolution marxiste, sa fuite quand il se rend compte qu’une nouvelle dictature a succédé à l’ancienne. Ce film, parce qu’il est direct, tendre, drôle même, picaresque, parce qu’il mélange les époques avec une simplicité et une aisance confondantes sans jamais perdre son spectateur ou l’ennuyer, sans jamais pourtant faire de concession à la mode ou au spectateur, parce qu’il est parfois d’une poésie aussi discrète que profonde, est tout simplement un chef d’œuvre. Deux heures de bonheur, de passion et pas un soupir dans la salle.
The Sky Crawlers de Mamoru Oshii : l’autre versant du dessin animé japonais, avec le nouveau film de l’auteur de Ghost In The Shell. Pas ma tasse de thé, ça m’a paru très statique, maladroit, assez laid (le contraste entre images de synthèse – des combats d’avions stupéfiants de beauté – et images en 2D pose un vrai problème), et idéologiquement fumeux, nébuleux, confus, trois adjectifs qui revenaient beaucoup dans la bouche de mes collègues, et je n’essaierai pas (pour une fois) de faire mon malin.
Les Plages d’Agnès d’Agnès Varda : En près de deux heures, Agnès Varda raconte sa vie sans jamais se dévoiler vraiment. Qui est-elle ? Où l’on découvre ou redécouvre que l’une de ses grandes qualités à toujours être là où il le fallait au bon moment (Nouvelle Vague, Cuba, Chine, Black Panthers, Féminisme) et de saisir, d’enregistrer ce qu’elle voyait. Doit-on en conclure qu’aujourd’hui, être où il faut être consiste à faire le tour de ses amis, de ses amours, bref de sa famille ? Peut-être. Doit-on en conclure qu’elle n’a eu que de la chance ? Non, bien sûr, car elle est évidemment cinéaste, c’est-à-dire qu’elle cherche sans cesse des idées de cinéma, la forme idéale. Ça peut paraître banal, mais c’est finalement la seule chose, et non la moindre, qu’un critique demande à un réalisateur. Outre qu’il est bouleversant, qu’on aimerait y revenir, les quelques points historiques qu’il soulève, ces plages (j’ai oublié de dire que les plages – cet endroit où la mer rejette ce dont elle ne veut plus… – est la figure centrale du film), sont à la fois tourmentées et étrangement sereines. On en reparlera avant longtemps, comme on dit, c’est sûr.
Agostino de Mauro Bolognini : film méconnu de Bolognini, tourné en 1962 au Lido de Venise d’après un roman de Moravia. Après Le Bel Antonio, Mauro Bolognini, cinéaste très inégal, poursuit son portrait de la virilité. Cette fois-ci, il s’attache à la « découverte de la vie » (la sexualité, donc) d’un pré-ado, Agostino : la tentation de l’inceste (Ingrid Thulin !), l’homosexualité ou l’homosexualité latente, la fascination jalouse pour les « grands frères », les prostituées, l’argent, la rivalit masculine. Un film fiévreux, malaisant, et gonflé.
Süt de Semih Kaplanoglu : vu à Paris avant de partir. Plutôt bien dans le genre autobiographique et symboliste. Mais pourquoi a-t-on l’impression que Kaplanoglu fait du Kiarostami sans Kiarostami mais qu’il maîtrise trop les choses pour les laisser vivre ? Cela dit, il y a des plans très forts. Mais figés et autosatisfaits dans l’attente du petit effet qu’il feront sur le spectateur. Dommage.
Parc d’Arnaud des Pallières : Jean-Marc Barr, à cause de sa méchante maman, va essayer de crucifier le films de Sergi Lopez, ce qui n’est pas très gentil. Un film vain, qui se veut politique (et qui l’est sans doute un peu) et surtout impressionnant. Le problème, c’est qu’il est si évident qu’il veut impressionner qu’il finit par n’impressionner personne. Du cinéma comme on le déteste : prétentieux, m’as-tu vu. Belle image, bons acteurs. Choc et toc. Du talent, certes, mais trop de confiance en soi. Des Pallières voulait jusqu’ici être Godard, là, on dirait qu’il cherche aussi à être Kubrick. On attend sa période Max Pecas avec impatience.
Nuit de chien de Werner Schoeter : noctambule, nocturne, « nuiteux ». Dans un pays imaginaire en pleine révolution, le temps d’une nuit, l’errance d’un homme à la recherche d’une femme et d’un billet de bateau pour quitter la ville (une errance bouleversante et agitée qui reflète le cerveau toujours bouillonnant et écorché du cinéaste, qu’on sait très malade). Schroeter, à sa manière opératique et baroque, filme sa vie comme si elle ne durait qu’une nuit. Chaque déambulation de son héros (Pascal Greggory), chaque étape de son chemin de croix ressemble à une visite qu’on ferait à un ami avant de mourir. Une distribution délirante : Sami Frey, Nathalie Delon, Elsa Zylberstein, Stévenin, Caravaca, Todeschini, Amira Casar… Un film funèbre, inégal, certes, mais traversé de fulgurances. Quel talent, quel sens de la composition des plans et de la lumière (la scène des jeunes gens sous la douche m’a donné des frissons) !
JBM
Mardi 2 septembre – Jour 5
C’est la rentrée scolaire alors je fais une petite pause. En attendant la suite de notre programme, voici la…
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…Recette du Spritz (ou Spritz « Aperol ») :
Deux tiers d’Aperol (un apéro orange à base d’herbes, 11 % d’alcool, une sorte de Campari mais en moins amer – mais le Campari, qui lui est rouge, va bien aussi, le Spritz changeant alors de prénom et devenant un Spritz « bitter »), un tiers de Prosecco (remplacez par un crémant quelconque), de l’eau de selz (eau pétillante), ajouter des glaçons bien durs (toujours) et une rondelle d’orange pour la déco et l’acidulé. Piquez une olive énorme au bout d’un long pic en bois et plongez-le dans la mixture en imitant le geste du gondolier.
Protège de la malaria et, bu en grande quantité, permet de bronzer (grâce à la carrottaine…) sans s’exposer au soleil. Mais il convient de le boire avec modération, bien sûr.
JBM
Pour de plus amples détails, cliquer ici.
Lundi 1er septembre 2008 – Jour 4
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A la Mostra, tout le monde a la peau un peu luisante, collante, comme si tout le monde s’était mis de l’autobronzant, ce qui n’est pas le cas. C’est l’air salé de la mer adriatique, sans doute. Et à Cannes, il n’y a pas de mer, hé, banane ? Oui, mais non, je ne sais pas pourquoi, le teint n’est pas le même. A Cannes, trop de paillettes, trop de bulles, trop d’étoiles, peut-être, qui protègent des embruns. Mais y a-t-il des embruns à Cannes ? Non, pas en mai fait ce qu’il te plaît en tout cas, je n’ai pas vu ça.
Je suis venu pour la première fois à Venise en 1972 ou 1973, je ne sais plus, c’était avec mes parents. Pourquoi écrive-je ça ? Quel intérêt pour les autres ? Ce matin, j’ai vu le film de Sylvie Verheyde, Stella. Un film qui m’a laissé énormément ému, parce qu’il se situe toujours « à la bonne distance » – comme nous disons souvent, nous, les critiques de cinéma un peu paresseux et gênés par le langage – en l’occurrence à la distance qui permet de raconter ses parents, son pays aussi, les chansons de variétés qu’on aime sans cynisme aucun, sans désamour, sans la distance qu’affirment les adultes avec leurs goûts d’enfants, alors qu’au fond, on n’en change pas vraiment, de goût – si, quand même heureusement. Verheyde n’a pas honte de montrer que l’école républicaine, ça peut parfois aider les enfants de famille modeste à s’en sortir, que la France des années 70, pourtant de droite, accueillait volontiers les réfugiés politiques (en l’occurrence d’Amérique du sud). Elle ne se moque pas des psy, comme il est de bon ton dans le cinéma français, ni des engagements de cette époque révolue (on croit toujours être plus intelligent que la génération qui nous a précédé). Pourtant le film a des défauts de fabrication évidents, des détails certes : trop de musique, par exemple, quelques facilités parfois. Mais les acteurs sont tous parfaits (Benjamin Biolay, en père bistrotier est génial), même les seconds rôles (Guillaume Depardieu, Christophe Bourseiller), les petites filles géniales. Dans l’émotion réelle, très forte qui m’étreignait à la fin du film, je me suis demandé s’il n’y avait pas quelque chose d’un peu faisandé, si, pour tout dire, ma biographie ne tenait pas une grande part… : le collège dans la deuxième moitié des années 70 dans le 13e arrondissement de Paris : Corvisart, la poterne des Peupliers, le quartier chinois, etc.
N’étais-je pas ému par moi-même plus que par le film ? Mais l’accueil triomphal que le public a réservé au film m’a rasséréné : tout le monde s’était reconnu dans cette pré-ado, dans sa vérité. Et puis, dans les meilleures scènes, quand la caméra s’emballe, quand les acteurs sont à fond (toutes les scènes de café en particulier), il y a une vraie vie, quelque chose d’éternellement renoirien, de typiquement français, d’une tradition picturale française (l’impressionnisme), cinématographiquement parlant : « Chez lui, la peinture n’est pas fraîche », dit Dutronc de Pialat. Lelouch, Rohmer, Eustache, Pialat, Kechiche et plein d’autres (oui, je sais, Lelouch continue à gêner, mais oui, c’est un bon cinéaste). Ça bouge, ça n’est pas fixé, ça vibre, et c’est politique (il faut aussi saluer la manière dont Verheyde, en quelques scènes tournées dans le Nord, balaie d’un revers de main tous les lours clichés accumulés récemment sur les doux et gentils Ch’tis). Alors qui en a quelque chose à faire, de ce que je sois venu pour la première fois à Venise en 1972 ? Personne. Mais, que ce fait soit vrai ou faux, il pourrait être le début d’une fiction passionnante (que je me garderai bien d’écrire, vous avez de la chance).
On m’avait dit que c’était le fameux « bon film italien de la compétition » (la sagesse populaire dit qu’il n’y en a qu’un chaque année…) : BirdWatchers – La Terra degli uomini rossi de Marco Bechis. C’était informe.
JBM
Dimanche 31 août – Jour 3
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L’Autre de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard (en compétition) : tout le début est magnifique. Trividic et Bernard filment une autoroute de nuit, vue du ciel. Les petites lumières rouges croisent les blanches, on croirait voir le circuit sanguin. Peut-être parce que j’avais vu le film de Claire Denis hier matin, L’Autre, adapté d’un roman d’Annie Ernaux, m’a fait pensé à L’Intrus, ce court livre du philosophe Jean-Luc Nancy qui a inspiré deux films : L’intrus de Claire Denis et La Blessure de Nicolas Klotz. L’Autre raconte l’histoire d’une femme de 47 ans, Anne-Marie, qui quitte son jeune amant, Alex. Mais le jour où ce dernier lui annonce qu’il sort avec une autre femme qui a le même âge qu’Anne-Marie, le monde s’écroule pour elle. Dominique Blanc est formidable et surtout impressionnante (on croise les doigts…), la mise en scène de Bernard et Trividic dans la lignée de leurs films précédents : une quête de fantastique dans le quotidien. On pourrait trouver d’autres liens, un côté politique sans doute, avec le Claire Denis. Dans L’Autre, il est question de l’amour comme d’un parasitage, d’une tentative de greffe, donc d’une menace de rejet permanent, mais aussi des non-limites entre l’imaginaire et le réel, des signes qui lient sans cesse les deux. J’allais dire une phrase idiote et prétentieuse, tant pis, je la lance, comme en lancent les vieux critiques littéraires : « André Breton aurait aimé ». Pardon (à vous et à Breton s’il m’entend).
Ce matin, le nouveau film d’Hayo Myiazaki, Ponyo On The Cliff By The Sea. Un seul mot : superbe, enthousiasmant, à pleurer (de joie, de tendresse). Succès acquis, la salle bourrée de critiques a applaudi chaleureusement à la fin, le personnage de Ponyo est déjà inscrit dans nos mémoires, comme on parle couramment de Totoro. Nul mieux que Myiazaki sait comment bouge un enfant. Un seul bémol : pourquoi, une fois le film terminé, ce malaise, ce sentiment un peu honteux qu’on s’en fiche un peu, finalement, tout de même ?
Beau film encore : Puisque nous sommes nés, un documentaire de Jean-Pierre Duret et André Santana. La vie quotidienne de deux enfants pauvres, deux copains, au Brésil. Encore ? Oui, bien sûr, la pauvreté est le deuxième cliché sur le Brésil, juste derrière les filles à string sur la plage dansant la samba. Mais là, il y a un vrai regard. Des choses terribles, profondes qui se disent. La misère au quotidien, au jour le jour, sur la durée. Et puis leur colère, les petits boulots qui ne rapportent rien, le désespoir, le chagrin aussi (l’un des deux a perdu son père). Une scène terrible : des cochons qu’on lâche dans un champ d’épandage pour qu’ils se nourrissent. Un espoir : des adultes qui s’occupent d’eux, qui les bousculent pour qu’ils ne se laissent pas aller, qui les conseillent.
Et je reviens au film d’Avi Mograbi après avoir tout fait pour l’éviter. Allez : je plonge. Z32 est un film compliqué à aborder, parce qu’il dit beaucoup de choses, et surtout parce qu’il part un peu dans tous les sens. Un jeune Israélien, engagé dans un commando de Tsahal, a tué un policier palestinien lors d’une mission de représailles après le meurtre de soldats israéliens. Depuis, ce jeune homme a raconté ce qu’il a commis à sa copine, qui a mal réagi. Il voudrait qu’elle le pardonne. Il est décidé de témoigner. A visage couvert pour ne pas mettre sa vie en danger. Mais sa copine va peu à peu le mettre à jour : pourquoi veut-il témoigner ? Pourquoi veut-il être pardonné par elle ? Ne serait-ce pas plutôt à la famille de la victime qu’il devrait demander ce pardon ? Et puis, pourquoi ne le demande-t-il pas, ce pardon ? Il veut être pardonner, mais il n’exprime aucun regret ? Au fond, ne refuse-t-il pas la responsabilité de ce qu’il a fait ? On touche évidemment à l’un des points les plus sensibles de tout crime de guerre ou contre l’humanité : comment accepter de reconnaître ce qui fait de vous un criminel, pour ne pas dire un monstre ? Comment tolérer, quand on a une certaine image de soi, avoir pris du plaisir (celui de soldats surentraînés qui accomplissent et réussissent une mission) à ce qui est purement et simplement un meurtre ? Comment accepter ce monstre qu’on a pu être ? Mograbi a une idée de génie : les visages de ces deux jeunes gens qui discutent devant nous, d’abord extrêmement floutés, gagnent peu, grâce à des effets spéciaux numériques, en humanité, sans que leurs véritables traits soient jamais révélés. A la fin du film, un long silence, d’incompréhension, d’incommunicabilité, s’installe entre cet homme et cette femme, qui comprennent qu’ils ne verront jamais le monde de la même façon. Moment de cinéma intense, de profonde humanité, qui na pas besoin de commentaire. Mais pourquoi Mograbi a-t-il pensé nécessaire d’entrecouper ce témoignage par chansons interprétées par lui-même. On comprend bien son intention : ne pas transformer son film en un objet beau, couper l’émotion pour que n’apparaissent que les faits. Mais je ne crois pas que sa proposition soit tout à fait efficace. Elle rompt évidemment l’émotion, mais elle nous distrait aussi. Finalement, ce divertissement paraît assez vain. Duret et Santana, eux, n’ont pas peur du cinéma, de faire de l’art avec de l’abject, parce qu’ils ne sont jamais dans le joli. C’est la fonction de l’art. C’est dans leur façon de filmer, dans chaque plan, qu’ils évitent ce que peut avoir de complaisant le spectacle de la confession.
A demain.
JBM
PS : Promis, je vous parlerai très vite de réactions critiques aux films que j’ai ratés (le Coen, le Kitano, etc.).
Samedi 30 Août – Jour 2
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Hier soir avant l’apéro, projection du nouveau film du chinois Yu Lik-wai, déjà auteur de All Tomorrow’s Parties (2003) et de Love Will Tear Us Apart (1999) par ailleurs chef op attitré de Jia Zhang-ke. Ce Plastic City raconte l’histoire d’un père et de son fils (interprétés par Joe Odagiri et Anthony Wong), qui gagnent leur vie au Brésil en trafiquant des faux produits de luxe. Comme le dit le fils dès le début du film : « Nous gagnons de vrais billets avec des faux objets ». Le film, très ambitieux dans sa forme, mélange tous les types d’image avec un bonheur inégal : c’est parfois franchement laid, et tout à coup vertigineux de profondeur, les images se bousculant et cohabitant parfois dans le même plan (réalité, image vidéo, rêve, images de synthèse). Sur près de deux heures, on n’est pas sûr que Yu n’a pas visé un peu trop haut par rapport à ses moyens. Il n’empêche que le film, par moments, atteint une véritable grâce. Le film a été assez mal reçu, selon moi avec une grande sévérité. Je n’ai pas décroché une seconde, scotché en particulier par les sauts brutaux d’une langue à l’autre (chinois, brésilien, anglais), par ce mélange assez inédit entre l’Amérique du sud et l’Asie extrême et la poésie qui s’en dégage.
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Dès le réveil, à 8h30, projection de presse du nouveau film de Claire Denis, 35 Rhums, hors compétition – dommage peut-être : je suis sûr que le jury, au sein duquel on retrouve Wim Wenders (dont Denis fut l’assistante, si je ne m’abuse), Douglas Gordon, Lucrecia Martel ou Johnnie To, auraient apprécié. Ça raconte l’histoire d’un père et de sa fille. Lui est conducteur de métro, elle étudiante. Ils vivent en banlieue parisienne. Ils ont pour voisin une chauffeuse de taxi qui est amoureuse du père et un jeune homme qui voyage tout le temps, qui est secrètement amoureux de la fille. Le film décrit leur vie, le temps qui passe, le boulot, les rapports charmants entre ce père et cette fille, les peines, les attentions, la mort qui règne, mais sans jamais aucune dramatisation forcée. 35 Rhums est un film simple, doux, attachant, totalement bouleversant, qui ne cherche pourtant jamais à brusquer ses personnages, à leur faire dire autre chose que ce qu’ils ont en eux, qui ne veut embellir ni salir personne. A part ça il faut bien dire ce qui frappe d’emblée, le parti pris fort du film : tous les personnages principaux (ou presque) sont noirs et Paris et sa banlieue sont présentés comme une région habitée majoritairement par des noirs, sans que jamais aucun personnage n’y fasse allusion. Idée assez géniale, qui nous évite tous les clichés attendus et habituels sur la banlieue, les communautés, la pression, etc. Et puis il y a une apparition fulgurante d’Ingrid Caven, un peu avant la fin du film. On en reparlera, c’est sûr. Un petit miracle.
Vu ensuite, Z32, le nouveau film de l’Israëlien Avi Mograbi, dans la section Orizzonti. Mais c’est un peu compliqué à expliquer, il me faudrait un peu de place pour expliquer en quoi ce film, qui ménage (au moins) un moment de cinéma extrêmement fort, pose quand même quelques problèmes. Je n’ai plus le temps, je vous en parle demain, je dois aller voir L’autre, d’après L’Occupation d’Annie Ernaux, le nouveau film de Patrick Mario Bernard et Pierre Trividic, qui avaient réalisé le superbe Dancing. A demain.
JBM
Vendredi 29 août- Jour 1
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Ici, je vous le dis d’emblée, c’est vraiment l’été. Quand on descend du train de nuit (je vous raconterai un jour, si vous êtes sages, comment, au wagon restaurant, une blonde incendiaire a tenté de me séduire avant de se rendre compte que je ne m’appelais ni Kaplan ni Thornhill et de me laisser tomber comme une vieille chaussette Benetton…), on est tout de suite happé par la chaleur. Dans le vaporetto, une vraie serre, les Vénitiennes à lunettes noires, comme d’habitude et à l’instar des Parisiennes, feignent l’ennui et affichent leur fatigue – c’est une tradition locale, ai-je déjà remarqué par le passé. Au Lido, où la Mostra se déroule pour la 65ème fois, les festivaliers se mélangent allègrement aux vacanciers, sans qu’on sache toujours bien les distinguer, même quand on pense les avoir déjà croisés dans un autre festival… (j’ai les noms).
Pour vous donner une idée du niveau de la Mostra depuis l’arrivée de Marco Müller, son directeur, sachez qu’en arrivant le troisième jour du festival, comme c’est le cas, j’ai déjà raté les nouveaux films des frères Coen, de Kiarostami (certes tous deux hors compétition), de Kitano, de Christian Pezold, etc. et un des deux courts qu’Oliveira, qui fêtera ses cent ans à la Noël, est venu présenter… Tout commence donc par une légère frustration. Je vous dirai demain les premières réactions de mes collègues amis à ces quelques films. En ce premier jour et pour ne pas me laisser distancer (rater un film, dans un grand festival, c’est être quasiment sûr de ne jamais pouvoir le rattraper), j’ai vu le film en compet’ et je n’aurai pas dû : ça s’appelle The Burning Plain et c’est réalisé par Guillermo Arriaga (le scénariste d’Iñarritu). Une histoire pleine de flash back et flash forward tissés comme une toile d’araignée pour capter ou capturer le spectateur dans une histoire somme toute banale et réellement manipulatrice : car le pourquoi du comment ne nous est révélé qu’à la fin, grâce à un artifice vraiment bidon et exaspérant, qui consiste à faire jouer le même personnage, à un âge somme toute équivalent (il n’y a que 8 années entre les deux époques), par des acteurs qui ne se ressemblent pas du tout. D’autre part, Arriaga est vraiment un tâcheron : on n’a jamais vu Charlize Théron et Kim Bassinger jouer aussi mal. Normal : leurs personnages ne sont que des marionnettes agissant selon l’idée que se fait leur manipulateur de ce qu’est la normalité ou la vraisemblance psychologique. Jouer, pour Arriaga, se résume à : « Ton personnage est triste, chérie, alors prends l’air triste, step ».
Bon, après ces propos assez décousus (je pendrai un peu plus de temps demain pour polir un peu les choses, promis) je vous laisse, c’est l’heure du Spritz (ce cocktail à base de Campari qu’on boit désormais partout en Italie du Nord au sud, mais qui est bien, à ma connaissance, la boisson apéritive estivale des Vénitiens).
JBM
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