En 1916, Leos Janácek découvre une série de poèmes d’un obscur auteur morave. Il en tire vingt-deux pièces pour voix et piano d’une force inégalée, un soliloque sur l’amour et le départ (le désir d’un jeune paysan pour une tzigane provoque la rupture avec sa communauté et donc avec ses racines sociales) qui tient lieu […]
En 1916, Leos Janácek découvre une série de poèmes d’un obscur auteur morave. Il en tire vingt-deux pièces pour voix et piano d’une force inégalée, un soliloque sur l’amour et le départ (le désir d’un jeune paysan pour une tzigane provoque la rupture avec sa communauté et donc avec ses racines sociales) qui tient lieu de déclaration existentielle.
La tzigane est l’incarnation du Juif errant, qui agit par lui-même mais s’exclut irrémédiablement de la normalité. Rien n’est innocent : à la même époque, le vieillissant Janácek entame une liaison mouvementée avec une jeune femme mariée. Journal d’un disparu apparaît donc comme un concentré de drame humain, d’imagination poétique et de forme vocale inédite qui fait appel à un chœur de femmes derrière les coulisses. L’effet produit est saisissant. Le cadre naturel forme l’arrière-fond vivant de l’errance. Janácek, qui a placé la femme au centre de son inspiration musicale (les opéras Jenufa et Katya Kabanova, le quatuor Lettres intimes?) livre là un testament édifiant. Le tandem britannique Bostridge/Adès lui rend complètement hommage, allant sur les traces du duo mythique Benjamin Britten/Peter Pears. Bostridge s’est aguerri dans Schubert et Henze ; la force expressive de son interprétation donne ici la chair de poule. Intelligence musicale et lisibilité du discours s’imposent tout au long de ce parcours. Au centre, un vibrant solo de piano sort des harmonies surgies tout droit des profondeurs de la terre. On reste pétrifié devant l’incarnation parfaite d’un legs aussi déchirant.
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Ian Bostridge, ténor ; Ruby Philogene, mezzo-soprano ; Thomas Adès, piano.
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