Avec la deuxième saison de la série, David Fincher poursuit son exploration du cerveau des psychopathes autant que des profileurs.
Dans la dernière scène de Mindhunter, saison 1, l’agent Ford (Jonathan Groff, ex-Looking) s’effondrait dans un couloir après avoir rendu secrètement visite à un tueur en série qui lui rentrait dans la tête et éclairait ses zones d’ombre inavouées. Ed Kemper l’avait subitement pris dans ses bras, provoquant la crise de cet agent du FBI pourtant spécialisé dans l’analyse des criminels les plus violents.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un homme à terre, voilà le spectacle que donnait la série au bout de dix heures de fiction, comme si elle avait voulu rendre enfin visible son inconscient, celui de David Fincher en tous les cas, réalisateur principal et “spécialiste” de la déconstruction ambiguë des figures masculines – The Social Network, Zodiac, Fight Club… Le premier épisode de la nouvelle saison (sur les trois que nous avons pu voir avant d’écrire ces lignes – ndlr) fait plus que capitaliser sur cette image : il appuie dessus et la diffracte.
L’arrivée d’une nouvelle pointure du FBI
Les années 1970 se terminent. L’atmosphère pesante et souvent captivante de la première saison ne fait que se renforcer. On retrouve assez vite l’agent Ford en salle de repos dans un hôpital de la côte Ouest, sous le choc de ce que les médecins décrivent comme une attaque de panique, vouée à se répéter.
La gueule d’ange se relève quand même, mais plus fragile. Son partenaire Bill Tench (Holt McCallany) vient le chercher pour le ramener à la maison. L’unité de science comportementale que les deux hommes animent avec la psy Wendy Carr (Anna Torv) à Quantico, en Virginie, vient de changer de chef avec l’arrivée d’une pointure du FBI.
Ce type pas rassurant au premier abord se révèle assez vite comme un allié de choix pour la petite équipe qui a aidé à populariser le terme de “tueur en série” – Mindhunter est une adaptation d’un livre d’enquête de John Douglas et Mark Olshaker sur les progrès des enquêtes criminelles durant les années 1970-80 aux Etats-Unis.
Charles Manson et “BTK killer”
La décision a été prise d’allouer davantage de ressources à celles et ceux qui agissent encore le plus souvent dans l’ombre, relégués au sous-sol du FBI parce qu’ils étudient “seulement” la manière de penser des psychopathes. Ces nouveaux épisodes pourraient donc être ceux de l’éclosion, de la multiplication des pistes ouvertes et des histoires racontées. La réalité s’avère plus complexe.
Une nouvelle fois sous le regard de David Fincher (qui réalise notamment les trois premiers épisodes) mais aussi de l’ex-golden boy hollywoodien Andrew Dominik (Chopper, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford) et de l’expérimenté Carl Franklin (House of Cards, The Leftovers), Mindhunter explore bien sûr des territoires inédits. L’ombre de Charles Manson plane, même s’il n’apparaît pas dans les premiers épisodes.
Les serial killers ne sont là que pour révéler l’odyssée intime de ceux qui voudraient les décrypter
Quant au “BTK killer”, un fétichiste qui aimait ligoter, torturer et tuer ses victimes, après avoir été confiné aux ouvertures d’épisodes en saison 1, il est désormais mentionné de manière plus systématique. Au cours d’un voyage à Atlanta pour rencontrer un sujet qui s’avère peu coopératif, l’agent Ford ouvre sans le vouloir – la scène est merveilleuse, nous n’en dirons pas plus – un nouveau dossier, sur la piste de meurtres d’enfants noirs à Atlanta. La routine reprend.
Focus sur les enquêteurs
Une intéressante triangulation se met en place. Les enquêteurs écoutent les tueurs au cours de longs entretiens, mais la caméra nous suggère de les regarder d’abord eux. Les serial killers ne sont là que pour révéler l’odyssée intime de ceux qui voudraient les décrypter. Nous, spectateurs et spectatrices, assistons à ce théâtre de la parole et des dissimulations en scrutant d’abord ceux qui n’ont a priori rien à cacher.
A chaque fois, il s’agit pour Tench ou Ford d’écouter autant que possible, sans sourciller, des récits et des postures intellectuelles criminelles horrifiques, de rassembler des détails crus et parfois insoutenables, pour trouver l’angle le plus solide qui permettra d’avancer.
Face à Wendy Carr, le nouveau boss lâche sa croyance profonde en l’utilité de la démarche inédite de l’unité de science du comportement : “Toutes les grandes choses naissent entre méthode et folie.” Une référence à Hamlet, mais aussi, on peut le croire, une forme d’autoportrait créatif de la part de David Fincher.
Un sujet en or pour David Fincher
Ce dernier a mis presque deux ans à livrer ces nouveaux épisodes avec le créateur Joe Penhall et ne fait rien pour changer sa réputation de réalisateur accroché aux moindres détails. A l’image de la suffocante scène d’entrée dans la saison, Fincher cherche la profondeur métaphysique dans le moindre plan d’objet isolé, la moindre inflexion de visage, le moindre geste qu’il décompose, traquant la progressive dessiccation des êtres et du monde.
C’est de plus en plus clair au fur et à mesure que Mindhunter se déploie : le réalisateur a trouvé là le sujet idéal pour ses obsessions et son désir de contrôle. C’est aussi ce qu’il filme chez ses personnages. Tout est une question de degré. Il montre d’un côté ceux qui font un usage criminel de leurs désirs et obsessions (les tueurs en série) et de l’autre ceux qui tentent de rester du “bon” côté, même si cela doit leur coûter cher.
On pense à Zodiac (2007), sans doute le plus beau film de Fincher à ce jour, qui suivait la traque d’un assassin à San Francisco sur plusieurs décennies. On y pense dans la manière dont Mindhunter déploie une toile narrative lente et majestueuse, embrasse les échecs autant que les avancées des enquêteurs, laisse s’écouler le temps. Il y a parfois quelque chose de froid dans la vision de David Fincher, mais c’est son respect et sa fascination pour les errances humaines qui fait de Mindhunter une fascinante expérience des limites.
Mindhunter saison 2 de Joe Penhall. Le 16 août sur Netflix
{"type":"Banniere-Basse"}