Lual Mayen, jeune Sud-Soudanais ayant fui la guerre civile, est développeur de jeux vidéo. Sa première création, a été reconnu internationalement comme “œuvrant à la consolidation de la paix”.
En français, le mot arabe “salaam” signifie “paix”. Voilà comment Lual Mayen, 25 ans et installé aux Etats-Unis, a joliment nommé le jeu vidéo qu’il a créé en 2016. Une histoire banale de développeur successful, formé à la Silicon Valley et travaillant sur du matériel dernier cri dans des locaux branchouilles ? Pas vraiment : c’est depuis un camp de réfugiés en Ouganda que ce jeune Sud-Soudanais a lancé ce projet visant à “promouvoir l’unité et combattre le sectarisme”.
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Le principe de son jeu, destiné aux smartphones et repéré par le site d’Al Jazeera : détruire, à l’aide d’un heart of peace – littéralement un “cœur de paix” –, des symboles guerriers tombant du ciel et menaçant de s’abattre sur le Soudan du Sud, et protéger ses habitants. Une retranscription sur écran de la réalité de son pays.
https://www.youtube.com/watch?v=m868CGlZfvg
En 2005, un accord de paix est signé au Soudan après vingt et un ans d’un conflit sanglant et meurtrier qui a opposé chrétiens animistes et arabo-musulmans. En 2011, suite à un référendum, l’Etat sud-soudanais est créé et accède à l’indépendance.
Depuis 2013, le pays est en proie à une autre guerre civile, sur fond de rivalité entre les ethnies Dinka et Nuer. En conséquence, selon les ONG, des dizaines de milliers de personnes sont mortes tandis que plusieurs millions ont dû fuir.
Lual Mayen a créé sa propre star up, Junub Games
De cette guerre et de cette crise humanitaire sans précédent qu’il a vécues au plus près, Lual n’en peut plus. D’où le développement de ce jeu pour tenter de “changer les mentalités” : “Ici, l’état d’esprit des gens est influencé par la guerre, les jeunes ne connaissent que cela. Je pense que les jeux vidéo, très populaires, sont un très bon moyen de promouvoir d’autres idées.”
Son travail a depuis été sélectionné comme l’un des “meilleurs jeux vidéo œuvrant à la consolidation de la paix” par un programme soutenu notamment par Amazon et lui a permis d’être invité un peu partout dans le monde pour des conférences. Il a aussi créé sa propre start-up, Junub Games, qui emploie une vingtaine de personnes.
Quand on en discute avec lui sur Skype, Lual, casque sur la tête et T-shirt noir, ne semble toujours pas en revenir. “C’est fou”, répète souvent en anglais celui qui est né sur la route, alors que ses parents fuyaient le Soudan pendant la première guerre civile pour rejoindre un camp de réfugiés en Ouganda.
Nous sommes en 1993. Il y vivra la majeure partie de sa vie, dans des conditions très difficiles : “C’était très éprouvant, il n’y avait pas assez de nourriture. Des gens tombaient malades ou mouraient. Ce n’était pas vraiment possible non plus d’étudier là-bas.”
Un aficionado de foot, de « Grand Theft Auto » et de « Fortnite »
Mais ce fan de foot – il est plus que probable qu’il ait scandé “champions du monde” quand la France, qu’il soutenait, a gagné la coupe cet été – est du genre débrouillard. Déterminé, aussi : “J’ai toujours aimé l’électronique et créer des choses pour aider les gens. Ma mère a économisé plusieurs années pour m’acheter un ordinateur et j’ai commencé à suivre des tutos. Même s’il n’y avait pas tout le temps de l’électricité ou internet, je m’entraînais beaucoup.” Cet aficionado de Grand Theft Auto ou de Fortnite intègre par la suite l’université en Ouganda pour étudier le développement de logiciels, et travaille les week-ends au Soudan du Sud pour payer sa scolarité.
En 2016, alors que le jeune ingénieur est chargé de former l’administration gouvernementale du Soudan du Sud aux nouvelles technologies, le conflit reprend de plus belle. C’est le déclic : Lual sait créer des jeux vidéo, il s’en servira en tant que plaidoyer pour la paix. Pendant deux mois, il développe Salaam, le montre à ses amis sur le camp.
“Ils n’en revenaient pas et me disaient : ‘C’est toi qui a fait ça ?”, raconte en rigolant et avec fierté ce jeune homme qu’on imagine très malicieux. La suite va le dépasser : “Le jeu est devenu viral. J’ai été invité dans plein d’endroits, notamment à San Francisco pour une conférence. Vous imaginez ? J’étais dans un camp de réfugiés et, tout à coup, j’étais invité aux Etats-Unis !”
Pas du genre à baisser les bras
Problème : en janvier 2017, Donald Trump annonce la création de son tristement célèbre travel ban, qui interdit aux ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane d’entrer sur le territoire américain. Lual comprend que la situation se complique pour lui, même si le Soudan du Sud n’est pas concerné.
Pas du genre à baisser les bras, il “travaille, travaille, travaille” et, en devenant finaliste du programme américain aidant les start-up produisant des innovations technologiques au service de la paix, obtient un visa et s’installe à Washington.
Ici, il est heureux : “Je rencontre plein de gens. Je suis content : ils voient le futur en moi.” Pas naïf pour autant, il déplore la politique de Trump, et le fait que, “plutôt que d’essayer de comprendre les réfugiés, qui sont forcés de quitter leur pays pour survivre et qui peuvent apporter plein de choses à leurs pays d’accueil, on les prend pour cible”.
https://www.youtube.com/watch?v=PQJ5Sz8MxIg
Lual parle tous les jours à sa famille, restée dans le camp en Ouganda faute de voir ses demandes d’asile acceptées. Lui aimerait retourner vivre au Soudan du Sud un jour, mais est sceptique sur l’avenir du plus jeune Etat du monde, malgré la signature récente d’un nouvel accord de paix : “Ce sont les mêmes personnes qui avaient signé le précédent cessez-le-feu. Rien ne change. Tant qu’ils n’en auront rien à faire des Sud-Soudanais, la situation n’évoluera pas.”
Lual, lui, continue à se creuser la tête pour tenter de donner aux jeunes de son pays un nouvel horizon. Une nouvelle version de Salaam devrait bientôt sortir, tandis que sa start-up continue à produire des jeux de cartes et même un jeu de société. Il s’appellera “Wahda”. En français, cela veut dire “unité”.
Salaam jeu vidéo pour smartphone
Lual Mayen dans un camp de réfugiés en Ouganda, février 2017
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