Deux flics mis à pied après une bavure basculent dans une spirale criminelle. Un polar expérimental tellurique qui aurait largement mérité une sortie en salle.
Il semble désormais acquis que tout un pan, et pas le plus médiocre, du cinéma indépendant américain n’aura plus les honneurs des salles françaises. Après Mandy de Panos Cosmatos ou Eighth Grade de Bo Burnham, un autre joyau se voit ainsi distribué directement en Blu-ray : Traîné sur le bitume de S. Craig Zahler.
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https://www.youtube.com/watch?v=zxFhIkA_MbU
Encore relativement méconnu, bien qu’un culte se soit formé autour de lui dès son premier film en 2015, Zahler est sans aucun doute un des cinéastes nord-américains (il est canadien) les plus importants apparus ces dernières années. En trois longs métrages, tous inédits dans les salles françaises (plus des scénarios à la pelle et une demi-douzaine de romans), il a délimité les contours d’un univers cohérent, sculpté par un style immédiatement reconnaissable.
Polar expérimental
Bone Tomahawk (un western cannibale avec Kurt Russell en 2015), Section 99 (un film de prison ultra-violent avec Vince Vaughn en 2017) et Traîné sur le bitume, polar expérimental, forment déjà un corpus impressionnant, autant que ceux des frères Coen ou de Quentin Tarantino il y a respectivement trente et vingt ans. Comme ses aînés, Zahler est un insatiable relecteur de genres (avec une prédilection pour le film noir), un ciseleur de dialogues littéraires et poétiques, un metteur en scène d’une implacable rigueur.
S. Craig Zahler est unique, une fabuleuse anomalie dans le paysage actuel.
On pourrait tout aussi légitimement évoquer Eastwood (ou Siegel) pour les portraits attendris de durs à cuire, Kubrick pour l’impavidité formelle et la cérébralité ou Lumet pour la chaleur humaine mêlée de fatalisme qui se dégage de ses films ; mais cette triangulation ne ferait que différer le constat : S. Craig Zahler est unique, une fabuleuse anomalie dans le paysage actuel.
Première originalité : de même que ses précédentes réalisations, Dragged Across Concrete (en VO) affiche une durée supérieure à deux heures (de quarante minutes, en l’occurrence). On y suit une mosaïque de personnages, liés entre eux par un événement central qui n’intervient qu’à mi-parcours, et principalement deux flics (Vince Vaughn et Mel Gibson, tous deux immenses) mis sur la touche à la suite d’une bavure possiblement raciste – le film ne tranche pas, se refusant à toute lecture politique unilatérale.
Méandre narratif
Un des traits les plus marquants de la Zahler’s touch, outre son ambiguïté morale, est l’attention portée à chaque personnage et méandre narratif, au point qu’il en est difficile de séparer les principaux des secondaires, les digressions du récit central. Tout importe.
Polar hard boiled (but slow boiled), aussi lent que violent, Traîné sur le bitume procède par accumulation de détails, sédimentation et langoureuse tectonique des plaques qui, par moments, sans que l’on s’y attende, aboutit à de sidérants séismes émotionnels – telle la séquence avec l’employée de banque jouée par Jennifer Carpenter, qui refuse de laisser son bébé pour aller travailler.
La musique enfin, un avatar de Philadelphia soul cocomposé par Zahler lui-même (qui fut critique musical et fait encore partie d’un groupe… de metal) avec deux légendes des 70’s (Butch Tavares et Eddie Levert des O’Jays), achève de sceller le sortilège présidant à ce film tellurique, qui n’a pas fini de nous secouer.
Traîné sur le bitume de S. Craig Zahler, avec Vince Vaughn, Mel Gibson, Jennifer Carpenter, (E.-U., Can., 2018, 2h39). En DVD et Blu-ray (Metropolitan)
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