Disponible sur Netflix à partir du 24 juillet, The Great Hack s’intéresse de près à Cambridge Analytica qui s’est servi des largesses de Facebook concernant la protection des données personnelles pour influencer de nombreux votes, dont celui de la présidence américaine de 2016 et du Brexit.
Le matin du 9 novembre 2016, une partie de l’Europe occidentale se réveille avec un sentiment de gueule de bois. Sur les chaînes d’info en continu, dans les matinales radio ou sur l’écran des smartphones, un seul nom et visage s’affichent. Ceux de Donald Trump, élu 45e président des Etats-Unis. Huit mois plus tard, une autre onde de choc frappe cette fois le Vieux continent lorsque le 23 juin 2016, le Royaume-Uni vote en faveur du référendum de sortie de l’Union européenne à 51,9 %. Dans les deux cas, beaucoup de personnes se sont interrogées sur ces résultats en se demandant comment ils ont été possibles. Dès lors, plusieurs médias ont commencé à enquêter sur les différentes raisons de ces succès inattendus jusqu’à ce que The Observer et The New York Times lâchent un premier nom le 18 mars : Cambridge Analytica.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
D’après les deux médias, cette société filiale de Stategic Communication Laboratories a illégalement utilisé les données personnelles de millions d’utilisateurs de Facebook (l’entreprise se vantant par exemple de détenir 5 000 points de données sur 230 millions d’électeurs américains). Sans que les utilisateurs du réseau social n’en donnent l’autorisation donc mais aussi, plus grave, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Parmi les électeurs, les plus indécis vont se retrouver bombardés de contenus sponsorisés sur Facebook (mais aussi sur d’autres plateformes telles que YouTube ou Twitter) qu’on assimilera seulement bien plus tard à des fake news. Tel est le point de départ de The Great Hack, un film de deux heures, disponible à partir du 24 juillet sur Netflix, qui s’est donné pour mission de résumer l’un des scandales les plus complexes du XXIe siècle. « Découvrez comment la société Cambridge Analytica en est venue à incarner la force obscure des réseaux sociaux dans l’élection présidentielle aux USA en 2016 », nous promettent les réalisateurs Jehane Noujaim et Karim Amer, oscarisés pour leur film sur le Printemps arabe The Square.
87 millions de comptes Facebook ont été hacké. Peut-être que le tien aussi.
The Great Hack sera dispo le 24 juillet. pic.twitter.com/YCewEFAj1V
— Netflix France (@NetflixFR) July 16, 2019
Pour y parvenir, ils ont choisi de suivre le parcours de deux personnages. Le premier, semblable à n’importe quel utilisateur de Facebook, s’appelle David Carroll. C’est un professeur de design multimédia que l’on suit, des Etats-Unis à l’Angleterre, tentant de récupérer les données que Cambridge Analytica a utilisées à son insu. Le second est une insider, en la personne de Brittany Kaiser, une ancienne employée de l’entreprise qui a notamment rédigé le contrat liant Cambridge Analytica à l’équipe de campagne de Donald Trump, qui se présente ici comme une « lanceuse d’alerte », en quête de rédemption. Le tout sous le « contrôle technique » de la journaliste Carole Cadwalladr, intervenant largement dans le documentaire qui travaille sur les dérives de Cambridge Analytica depuis plusieurs années déjà et à qui l’on doit les premières révélations de 2018 dans le New York Times et The Observer
If you’ve been following my quest to repatriate my voter data from #CambridgeAnalytica, prepare to see this journey unfold like never before. #TheGreatHack is streaming worldwide on July 24. pic.twitter.com/mKWi99quEi
— David Carroll 🦣 (@profcarroll) July 11, 2019
Du point de vue strictement formel, tous les ingrédients sont réunis pour faire de The Great Hack un film très plaisant à suivre : un sujet qui concerne un grand public (on recense 2,3 milliards d’utilisateurs de Facebook au 31 janvier 2019); une entreprise qui représente le mal absolu (difficile de ne pas penser à Evil corporation dans Mr Robot en décrivant Cambridge Analytica) à commencer par son directeur général (aujourd’hui suspendu) Alexander Nix, qui a refusé de répondre aux réalisateurs et qui fait crisser ses pneus lorsqu’un journaliste vient l’interroger à la fenêtre de sa voiture; et une réalisation léchée, illustrée par ces nuées de données personnelles qui vous échappent lorsque vous likez un commentaire, lorsque vous compostez un billet de train avec votre smartphone ou que vous téléchargez la dernière application à la mode. De plus, les témoignages limpides de David Carroll ou de Carole Cadwalladr apportent du corps à la réflexion générale de ce film, qui dépasse de loin le simple cas de Cambridge Analytica. Comme l’explique Julian Wheatland, ancien directeur de l’entreprise, « il y aura toujours des Cambridge Analytica. Ça craint juste pour moi que cette affaire soit tombée sur Cambridge Analytica ».
Un film qui laisse sur sa faim
Pourtant sur le fond, on reste sur notre faim, après visionnage des quasi deux heures de film. Aucune grande révélation n’en ressort vraiment et la pédagogie reste désespérément absente de la narration choisie par les réalisateurs. Pire, le montage se perd parfois avec des scènes superflues et effets spéciaux qui restent énigmatiques. Comme lorsque le spectateur fait la connaissance de Brittany Kaiser dans une superbe piscine en Thaïlande sans que l’on sache concrètement comment les contacts ont été noués, ou lorsque cette dernière exprime dans une fausse candeur rédemptrice, à propos de l’élection de Donald Trump : « Je ne pensais pas que pendant qu’on comptait les votes, certains de ces votes provenaient de gens qui avaient vu des fake news payées par la Russie. Je voulais peut-être croire que Cambridge Analytica était sans défaut. C’est pratique de croire ça. » A la lecture de la presse britannique, on apprend également (et ce n’est pas mentionné dans le film) que Brittany Kaiser a vendu les droits de son témoignage à la maison d’édition HarperCollins pour une somme à six chiffres.
Au final, de nombreuses questions restent en suspens à la fin de The Great Hack dont la suivante : comment l’entreprise s’y est-elle prise pour influencer le vote lors de l’élection américaine de 2016 ? Si le film propose un cas concret avec un scrutin survenu au Trinitad et Tobago, l’échantillon entre cette petite île des Caraïbes et la première puissance mondiale n’est guère comparable. Les mesures prises par Facebook pour éviter de nouveaux siphonnages des données personnelles de ses utilisateurs restent de la même manière absentes du film. Si The Great Hack se regarde comme un bon thriller, il ne répond que partiellement à de nombreuses interrogations.
{"type":"Banniere-Basse"}