Se revendiquant de Picasso, le peintre peuple ses toiles de personnages figés dans un cri muet et aux traits distordus
“Dans le rock, on se tutoie, alors on va se tutoyer !” A l’autre bout du fil, il y a Antoine Rigal et si l’entrée en matière importe suffisamment pour être relatée, c’est que tout son art découle peu ou prou de là : du rock, et plus précisément du punk. Antoine Rigal est artiste, il est punk et n’accepte pour son art inclassable que cette étiquette : “punk-art”.
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Né au mitan des années 1960, Antoine est à peine ado lorsque la déferlante punk s’abat sur les côtes anglaises. De son côté, la vague, il la prendra quelques années plus tard, lorsqu’elle arrive sur l’autre rive, celle des côtes bretonnes. Le temps qu’elle pénètre dans les terres jusqu’à la Mayenne dont il est originaire et nous sommes déjà en 1981.
“Les Anglais étaient punk en 1977. Quand je m’y suis mis, c’était déjà un mouvement de dinosaures. C’est quand même comme ça que j’ai commencé, en peignant les perfectos des punks. Ils me demandaient de leur faire toutes sortes de dessins dans le dos, souvent des pochettes d’album, très minutieuses et détaillées.”
Les peintures d’Antoine Rigal en ont conservé la minutie du trait et la rage incandescente. Dans ses toiles à l’huile ou à l’acrylique, tout se tord et se débat, les personnages comme leur environnement, figés dans un cri muet, à moins qu’il ne s’agisse des contorsions d’une danse de Saint-Guy.
Un père anarchiste qui travaillait dans les impôts
“J’adore les yeux, les regards, les personnages et les portraits ont toujours été ce que je préfère représenter. A un moment, je faisais un peu l’apologie de la drogue, mais j’en suis revenu.”
Cette puissance vitale, cette énergie nietzschéenne est exécutée dans une facture qui rappelle à la fois la BD et certains canons de l’art occidental mais passés à la moulinette de l’imagination débordante de leur créateur.
“J’ai toujours dessiné. Comme tout le monde. Sauf qu’à l’âge adulte, je n’ai pas arrêté”, raconte-t-il en mettant un point d’honneur à souligner qu’il est totalement autodidacte. “Au collège, une prof avait eu l’idée de m’orienter en art. Elle m’a emmené visiter le lycée expérimental de Saint‑Nazaire, à l’époque tenu par le frère de Daniel Cohn-Bendit. La visite a dû l’effrayer parce que j’ai finalement été dirigé vers un CAP de chaudronnerie.”
L‘influence de la BD, de Gotlib notamment, est manifeste
L’éducation artistique, ou du moins l’imprégnation et la sensibilisation, viendra plutôt du milieu familial. Son père, “anarchiste qui travaillait dans les impôts”, lui fait lire Charlie Hebdo ou Hara Kiri enfant. Il l’emmène aussi voir des expositions d’art contemporain.
« Il faut savoir que les gamins en bas âge sont des génies de la peinture, ils ne sont pas encore formatés »
Si l’influence de la BD, de Gotlib notamment, est manifeste, on ne s’attend pas forcément à l’entendre se placer sous le saint patronage de Picasso. Et pourtant, c’est l’une de ses références phare et un des maîtres assumés de celui qui en a peu :
“Ça m’énerve toujours d’entendre dire qu’un gamin de 8 ans peut peindre comme Picasso. Il faut savoir que les gamins en bas âge sont justement des génies de la peinture, ils ne sont pas encore formatés par la pub ou toutes ces conneries.”
Pour le reste, il ne veut pas en entendre parler : qu’on ne vienne pas lui dire qu’Antoine Rigal hérite de la Nouvelle Figuration ou pire, qu’il rentre dans la catégorie fourre-tout de l’art brut.
Un sens de la paréidolie très aiguisé
Parce qu’on lui en fait souvent la remarque, il préfère s’en amuser, taquin et féroce à la fois : “Pour l’art brut, il aurait fallu que je sois fou ; et pour la figuration libre, que j’aie un casier vierge.” L’Art singulier non plus, il n’en “aime pas le nom”, comme d’ailleurs toutes les étiquettes qui pourraient restreindre sa quête d’un univers peuplé de créatures bigger than life, presque trop agitées pour que la feuille puisse contenir leur fourmillement.
Le processus de création est pour lui à la fois un exutoire aux cahots du chemin de la vie et une manière de lâcher la bride à l’imagination : “En ce moment, je travaille à partir de taches. Je commence par là, par disposer des couleurs sur la toile, un peu comme l’art abstrait. Sauf que je n’en reste pas là : j’y cherche des suggestions de figures humaines, que je fais ensuite émerger petit à petit. La paréidolie, ce phénomène psychologique qui fait percevoir des visages dans les objets du quotidien, est hyper développée chez moi.”
De retour en Mayenne après plus de vingt ans passés à Rennes, l’acharné Antoine Rigal s’est, progressivement, taillé une place dans les collections de plusieurs musées. “Sept au total”, précise-t-il, dont le musée de la Création Franche, la Coopérative-Collection Cérès Franco, le musée d’Art naïf et des Arts singuliers de Laval ou encore le musée d’Art brut de Montpellier.
Tout en continuant à pourchasser, pinceau en main, ses personnages grotesques, monstrueux, attachants et surtout humains, trop humains, il est actuellement en train de réaliser les illustrations de la prochaine parution de Thierry Pelletier, déjà auteur en 2013 du livre Les Rois du rock.
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