Un album et une expo pour se souvenir de Souris, le chat de l’artiste, mort en 2014. Qui d’autre qu’elle pouvait réunir un tel panel de musiciens, de Pharrell Williams à Juliette Armanet, en passant par Camille ou Miossec ?
Il s’appelait Souris. Souris Calle. C’était un chat mâle, noir et blanc, que l’artiste Sophie Calle reçut en cadeau d’anniversaire le 11 octobre 1996 et qui mourut le 26 janvier 2014 à 15 h 35. “Dix-sept années de nuits tous les deux enlacés, sans jamais fermer la porte de ma chambre pour qu’il puisse me rendre visite quand il le souhaitait, ont pris fin”, écrivait-elle dans un communiqué. Sophie Calle organise ses obsèques dans sa maison-atelier de Malakoff et l’enterre dans son jardin.
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“Son territoire préféré était l’espace entre mes oreillers. C’est là que le manque est le plus criant, la nuit, avec ce vide sans respiration”, raconte-t-elle encore, se réappropriant à dessein le vocabulaire que l’on emploierait pour convoquer un amant, un conjoint, évoquant même dans un élan anthropomorphique sa “démarche à la John Wayne”, ses ronflements et le fait qu’il se masturbait sur elle.
“Parce que quoi d’autre après plus rien ?”
Quatre ans après sa mort, voici que sort Souris Calle, album sur lequel une cinquantaine d’artistes rendent hommage au défunt. Le casting a la beauté du foisonnement curieux et précieux : AaRON, Juliette Armanet, Benjamin Biolay, Brigitte, Camille, Bono, Jeanne Cherhal, Christophe, Jarvis Cocker, Lou Doillon, Jean-Michel Jarre, Mirwais, Fabrizio Moretti (batteur des Strokes), The National, Mount Kimbie, Marie Modiano, Peter von Poehl, Michael Stipe de R.E.M., Mina Tindle, Pierre Lapointe, Nicola Sirkis, Raphael, Albin de la Simone, et on en passe.
Contactée, Sophie Calle nous précise : “La chanteuse Camille est venue chanter une chanson à l’oreille de Souris pendant qu’on l’endormait. Il est mort en musique si l’on peut dire. J’ai donc demandé à ces deux amies proches que sont Camille et Laurie Anderson de lui écrire une chanson. Le projet était né.”
Souris Calle se double d’une exposition à la galerie Perrotin : trois disques 33t accrochés aux murs, le son diffusé dans plusieurs alcôves aménagées pour l’écoute. En parallèle sera présentée Parce que, série de photographies masquées par des rideaux brodés d’un texte que le visiteur sera invité à lire, avant de tirer ces mêmes rideaux pour découvrir l’image.
Ainsi, “Parce que quoi d’autre après plus rien ?” introduit Plurien, cimetière (2018), photographie d’un panneau de sortie de ville, face au cimetière de Plurien (Côtes-d’Amor). La légende précède la photo, l’explication forme un cadre dans lequel inscrire l’image.
On rit avec Sophie
Quel rapport entre ces deux projets, l’un visuel, l’autre auditif, si ce n’est la dialectique entre le manque et son comblement ? Comme si le texte était seul garant du sens de la photo, menacée d’absurde et d’irréalité sans son existence.
Comme si Souris menaçait, lui aussi, de disparaître dans les limbes de la mémoire s’il n’y avait tous ces artistes pour scander son nom – “celui que j’aurai le plus prononcé dans ma vie”, disait Sophie Calle. Souris renaît dans un hommage touchant où l’humour guette, comme souvent chez l’artiste, amatrice d’animaux empaillés, désormais endeuillée d’un compagnon de vie.
On rit avec Sophie, et pourtant c’est bien notre relation aux êtres et au deuil qu’elle questionne à travers la grandiloquence de ce projet : pourquoi Souris, le chat, ne mériterait-il pas son album-hommage avec une galerie d’artistes prestigieux ? En quoi le manque de Souris serait-il moins important que le manque de ses deux parents ?
“La mort d’un chat, c’est charmant.” (Sophie Calle)
En 1998, Sophie Calle confiait aux Inrocks : “Je n’ai pas de mémoire, j’oublie tout, j’ai toujours besoin des gens pour qu’ils me rappellent des périodes de ma vie. Quand je rencontre une ancienne amie de classe, je suis sans cesse affamée de souvenirs, je lui demande ce que je faisais, de quoi on parlait. La seule manière pour moi de me souvenir des gens, c’est de connaître une photo d’eux. Même pour mon père : j’ai quelques images de lui, et je le vois mieux.”
“Les gens acceptent plus facilement de faire des choses qui sont absurdes”
Dans un mail, Sophie Calle envoie à Miossec le morceau composé par Camille, des photos de Souris ainsi qu’un texte relatant leur relation et son trépas. Ainsi naît sa participation au projet sous la forme d’Il n’avait jamais tué de Chamois. “C’est une joueuse, Sophie”, résume celui qui mena plusieurs projets artistiques avec elle, dont l’un au phare du Créac’h à Ouessant avec Pippo Delbono.
“C’est fou le pouvoir d’attraction qu’elle exerce sur les gens. Son travail n’est pas hermétique.” Sophie Calle, elle, dit : “Les gens acceptent plus facilement de faire des choses qui sont absurdes. Je leur aurais demandé un disque sur le réchauffement de la planète, je ne sais pas s’ils auraient dit oui alors qu’ils se sentent sûrement concernés. Tandis que là, la mort d’un chat, c’est charmant.”
Un écho universel à partir d’une quête singulière
La mémoire de Souris se retrouve donc saluée sur Cat Mouse par Pharrell Williams, que Sophie Calle rencontre à la galerie Perrotin lors d’un vernissage. “Je lui ai exposé le projet, il m’a dit ‘pourquoi pas’. Deux mois plus tard, je recevais son morceau.”
Souris Calle pourrait faire sourire, grimacer même, s’il n’y avait la singularité du projet, créant un écho universel à partir d’une quête singulière ; s’il n’y avait aussi la qualité des morceaux, ritournelles, actes conceptuels, jets poétiques, qui forment une belle œuvre, inattendue, surprenant Sophie Calle elle-même, qui n’a donné aucune règle aux participants.
“J’ai demandé à Christophe de m’expliquer en quoi son morceau était sur Souris. Il m’a dit de me débrouiller. Dans la maquette du disque, à la place du crédit de Christophe, il y a sa réponse, des onomatopées. Je ne sais pas si c’est sur Souris, mais ça me convenait.”
Parce que & Souris Calle Du 13 octobre au 22 décembre, galerie Perrotin (Paris IIIe)
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