La consommation de protoxyde d’azote a été pointée du doigt par un rapport de l’Anses le 9 juillet dernier. L’usage de ce gaz, détourné en drogue par les jeunes, peut, en cas d’addiction, causer des séquelles neurologiques ou hématologiques, parfois irréversibles. Des jeunes nous racontent leur expérience.
Peut-être avez-vous récemment aperçu des cartouches de protoxyde d’azote, plus communément appelé “gaz hilarant”, le long d’un trottoir, sans forcément savoir de quoi il s’agissait. Léna*, 25 ans aujourd’hui, a commencé à en prendre de manière régulière il y a six ans. “C’est un truc qui se faisait énormément en soirée, il y en avait tout le temps !”, se souvient cette étudiante en médecine. « C’est rapidement devenu un rituel… Avec mes amis, on y pensait systématiquement, on se disait : ‘qui a du proto ? Il faut vraiment qu’on en ait !' ». Comme elle, de plus en plus de jeunes consomment du « proto », ce gaz psychoactif contenu initialement dans les cartouches pour siphons de chantilly.
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Entre sa facilité d’accès (en grande surface ou sur Internet), et son faible coût (environ 8,50 euros le lot de dix cartouches sur Amazon), cette drogue semble connaître un certain succès. Même si le sujet pointe le bout de son nez dans les médias depuis quelques semaines, l’usage du protoxyde d’azote et ses dangers ne sont encore – à de rares exceptions près – pas abordés dans les écoles.
Le 9 juillet dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), publiait d’ailleurs un rapport dans lequel elle alertait sur les dangers liés à la prise de “proto” et aux risques de séquelles neurologiques qui pouvaient découler en cas d’usage trop fréquent. “On observe une augmentation de la visibilité des cartouches de protoxyde d’azote dans la rue mais aussi une hausse des complications médicales qui sont forcément liées à une augmentation de l’usage”, nous explique Anne Batisse, pharmacienne au centre d’addictovigilance de Paris.
« On s’attendait pour craquer le ballon tous ensemble »
Si Léna admet avoir été, avec ses amies, réticente à en prendre au début, un argument l’a convaincue de s’y essayer : “Celles et ceux qui en prenaient nous ont expliqué que les effets ne duraient que quelques secondes”, se remémore-t-elle. Effectivement, « ils apparaissent dans les 3 minutes après la prise de protoxyde d’azote et disparaissent au bout de 5 minutes », précise Anne Batisse.
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« Toutes les sensations sont décuplées : la musique, qu’on mettait pour kiffer le délire, était en résonance, les rires des gens qui en prenaient avec moi pareil… », raconte Léna à propos des effets que lui procuraient le « proto ». Plusieurs raisons expliquent que l’inhalation de ce « gaz hilarant » – appelé comme tel car le principal effet sur ses usager·es est un moment d’euphorie – est perçue comme un acte anodin. D’abord,« le protoxyde d’azote n’est pas un gaz qui va avoir des effets secondaires très forts s’il est juste expérimenté à petite dose », souligne la pharmacienne.
Emilie*, 25 ans également, a découvert le « proto » l’année dernière, lorsque l’on lui en a proposé en boîte de nuit. La jeune femme qui affirme n’en avoir pris qu’une dizaine de fois, témoigne d’un certain effet de groupe. « C’était histoire de kiffer avec les copains », explique-t-elle. Léna, elle aussi met en avant l’aspect collectif lors de la consommation. « On s’attendait pour craquer le ballon tous ensemble et kiffer le délire à plusieurs”, se souvient-elle. Pour Anne Batisse, les groupes d’usagers chez les étudiant·es en médecine ne sont pas rares car, en plus d’être utilisé en cuisine, « le protoxyde d’azote est utilisé comme anesthésiant dans le milieu médical”.
Les risques d’une sur-consommation
Si la prise de protoxyde d’azote peut être considérée comme un phénomène grandissant et inquiétant, Anne Batisse tient à préciser que « les cas de jeunes atteint·es de séquelles neurologiques ou hématologiques sont très rares ». En effet, dans son rapport, l’Anses indique qu’« entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019, 66 intoxications au protoxyde d’azote ont été enregistrées par les CAP [centres antipoison ndlr]. » « Ce qui amène dans cette voie-là, c’est l’entrée dans la dépendance, et c’est là que ça devient problématique », avertit tout de même la pharmacienne du centre d’addictovigilance.
Le caractère éphémère des effets liés au protoxyde d’azote n’exclut pas pour autant les risques neurologiques et hématologiques mis en avant par les professionnels de santé. « Comme l’effet est dose-dépendant et que la consommation de certain·es d’entre celles et ceux qui en prennent peut aller jusqu’à 300 cartouches dans une soirée, les risques pour la santé sont réels et il faut les connaître », insiste la pharmacienne.
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Selon elle, le véritable problème concerne l’usage chronique de protoxyde d’azote sur une longue période : « Dans ces cas-là, il peut y avoir des conséquences neurologiques ou hématologiques très graves qui peuvent même être irréversibles comme, par exemple, le trouble de la marche. »
Si elle n’a jamais eu de réelle dépendance vis-à-vis du produit, Léna se rappelle de certain·es étudiant·es « à qui ça ne faisait plus grand-chose au bout d’un moment et qui doublaient la dose dans le ballon, ou d’autres qui enchaînaient deux ballons à la suite pour avoir des effets ».
Vers un encadrement plus strict autour du produit ?
« Dans l’inconscient collectif, comme cette substance est en vente libre, les gens ont tendance à penser que c’est autorisé, alors que ce n’est pas le cas », analyse Anne Batisse. Dans son rapport, l’Anses insiste d’ailleurs sur la nécessité de réglementer l’accès au protoxyde d’azote pour « son usage alimentaire » – son usage médical étant lui déjà réglementé. Pour l’organisme, la réglementation autour du « gaz hilarant », « ne prend pas en compte les dérives d’utilisation de ces produits ».
En décembre 2019, un projet de loi concernant l’interdiction de vendre ce produit aux mineur·es a été adopté à l’unanimité par le Sénat, et doit être examiné par l’Assemblée en mars 2021. En attendant, des maires commencent à prendre des mesures à l’échelle de leur commune pour lutter contre ce phénomène. La Madeleine, Wattrelos, et Montpellier ont déjà interdit la vente aux mineur·es. Le 23 juillet dernier, l’édile de Montpellier a signé un arrêté interdisant « la consommation, la vente ou la cession gratuite de protoxyde d’azote aux mineurs », mais aussi « la détention, l’utilisation, l’abandon et le dépôt des cartouches de protoxyde d’azote sur la voie publique ».
La sensibilisation des dangers liés à la prise de protoxyde d’azote semble en tout cas avoir des conséquences sur certain·es consommateur·ices. C’est notamment le cas d’Emilie. « Je ne connaissais vraiment pas les risques et puis j’ai vu des copains en prendre énormément et avoir les lèvres violettes, ça m’a vachement angoissée », confie la jeune femme avant de conclure : « Je n’ai vraiment plus envie d’en prendre aujourd’hui ».
*Les prénoms ont été modifiés
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