Le mouvement écolo radical Extinction Rebellion place la désobéissance civile non-violente au centre de son action. Des formations sont organisées pour mieux appréhender le concept et préparer les militants.
Ce samedi 20 juillet, dans une petite salle blanche immaculée du Mundo-M, un espace collaboratif à Montreuil, une vingtaine de personnes sont assises en cercle. Au fond de la salle, deux formateurs distillent leurs connaissances en désobéissance civile non-violente. « Une action de désobéissance civile, c’est une action illégale mais que l’on juge légitime. L’idée, c’est d’agir pour l’intérêt général », définit Marie, qui anime des formations comme celle-ci depuis deux ans au sein du Mouvement pour une alternative non-violente (MAN). Elle est accompagnée de Thierry, militant d’Extinction Rebellion, un mouvement écolo radical.
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Ici, tout le monde connaît “XR”. Les participants viennent de Paris, de Seine-Saint-Denis, de Nantes, d’Antibes, et même des Pays-Bas ou de Rome pour pousser l’expérience du militantisme un peu plus loin. Une grande majorité d’entre eux a déjà participé à une action, et, à part Maxence*, personne n’a jamais suivi de formation. « Je viens pour passer à l’action ! », s’exclame Morgane*, tandis qu’Alexandre* cherche à « s’investir dans XR ». Martha* cherche à comprendre « comment concevoir la non-violence ».
La stratégie de la non-violence
De 10 heures à 18 heures, cours théoriques et mises en pratique se succèdent. Pour le premier exercice, la formatrice égrène plusieurs types d’action, et les participants doivent se placer dans une partie de la salle, suivant s’ils la trouvent violente ou s’ils pourraient y participer. Si certaines, comme « mettre une baffe à un enfant s’il a mal agit », font consensus (« c’est violent »), d’autres font débat. Pour « bloquer une entreprise et empêcher les salariés d’aller y travailler », Christiane, les cheveux grisonnant, s’interroge sur sa capacité à s’opposer physiquement à quelqu’un. « Avant de passer à l’action, il faut poser ses limites », tempère Marie, avant d’ajouter : « la non-violence, ce n’est pas l’absence de violence ».
Au sein d’Extinction Rebellion, Thierry assure qu’un consensus sur la non-violence est débattu en amont de chaque action. Maxence, militant du groupe local de Montreuil, reconnaît que « chez XR, on n’est pas forcément d’accord en interne. Mais ce n’est pas le rôle du mouvement de définir la ligne entre violence et non-violence. Ce n’est pas un concept absolu ». Et Marie d’ajouter : « Le choix de la non-violence, c’est une stratégie. Ça nous permet de rallier l’opinion publique. »
Au sein des participants, la position de « victime » ou de « martyr » que reflètent ces actions laisse songeur. « On ne se positionne pas en martyr », répond Thierry. « On se prend des coups, mais on riposte d’une autre manière. La violence légitime la répression », fait-il valoir. « Une action non-violente ne veut pas dire que l’on ne va pas subir de répression, mais ça l’empêche d’escalader », complète Marie.
Formé à former
Cette initiation à la désobéissance civile n’est qu’une des nombreuses formations que donne Extinction Rebellion. « Lorsque l’on fait une action, chacun a un rôle donné en fonction de qui est formé à quoi », explique Thierry. Le chargé de relation presse s’occupe des journalistes, le « médiactiviste » se charge de filmer et de prendre des photos, le « peacekeeper » a pour rôle d’apaiser les tensions entre policiers et militants, le « medic » est là pour soigner, le « bloqueur » fait gagner du temps aux autres, et la« legal team » assure un soutien à distance.
Le mouvement cherche à augmenter son nombre de formateurs. C’est une des raisons pour laquelle Maxence, qui a rejoint le mouvement après l’action de la république des pollueurs, est au Mundo-M ce jour-là. « On fait face à une problématique qui est que beaucoup de gens nous rejoignent sans jamais avoir fait de militantisme avant. Donc il faut former un maximum de monde, qui puisse en former d’autres à leur tour », expose celui qui veut enseigner l’art de la désobéissance civile.
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La première formation d’XR a été dispensée par le collectif des Désobéissants. Thierry y a participé, avant de devenir à son tour instructeur. « C’est un partage à faire, nécessaire pour bien préparer les gens. Ça nous permet aussi de mieux maîtriser nos actions », met-il en avant. L’ancien étudiant en école d’ingé concède cependant se heurter à quelques difficultés. « C’est difficile d’expliquer ce qu’est la désobéissance civile, la limite entre la violence et la non-violence… » Pour cette raison, il est épaulé par Marie, rodée à l’exercice depuis deux ans au MAN. Elle a rejoint Extinction Rebellion il y a deux mois. « Former à l’action me paraît essentiel », lance la bénévole. « Ces journées permettent de montrer que l’on peut faire quelque chose face à la violence structurelle. Quand j’ai découvert la puissance de l’action non-violente, j’ai voulu la transmettre ».
Travaux pratiques
Après une pause déjeuner où les futurs désobéissants ont fait plus ample connaissance, place à la pratique. Pour cette simulation d’action, Marie et Thierry ont concocté un scénario : une compagnie pétrolière a décidé de faire un forage qui nuirait à la biodiversité. En réponse, les militants veulent bloquer le siège de l’entreprise. « J’aurai besoin de cinq flics ! » lance Marie. Avec peu d’emballements, les cinq bleus d’un jour quittent la pièce dix minutes, le temps pour les bloqueurs de s’organiser. Chantale* est désignée pour s’occuper des médias, et Eric* s’occupera d’apaiser les forces de l’ordre.
Après s’être mis d’accord sur le slogan « Oui à la plage, non au forage ! », qu’ils scandent en chœur, le reste des militants essaie de mettre en place la meilleure technique de chaîne humaine. Ils s’assoient en tailleur, croisent leurs jambes dans celles de leur voisin et se tiennent les bras.
Le groupe jouant la police fait irruption dans la salle, gilets jaunes sur le dos. Les « oui à la plage, non au forage ! » sont chantés à tue-tête pendant que le peacekeeper négocie avec les « forces de l’ordre ». En vain. Les militants se font évacuer de force par les autres participants, qui s’y prennent par groupe de deux ou trois pour porter une personne. En quelques minutes, l’action est terminée. « Ça m’a paru beaucoup plus long », commente un des bloqueurs, lors du débrief.
Certains ont mal vécu le rôle du policier. « Il y a un sentiment de honte à déloger des gens assis et les regarder de haut », remarque Eric. D’autres n’ont pas forcément apprécié la contrainte physique. « J’ai ressenti une douleur à laquelle je n’étais pas préparée. Quand je me suis fait embarquer, ça m’a soulagé », note Jeanne*.
« C’était intense »
De retour dans le cercle, les formateurs y vont de leurs conseils : « En amont, on peut décider d’un code pour lâcher prise », expose Thierry. « Ça ne sert à rien de se faire luxer l’épaule. Le blocage, c’est pour gagner du temps », rajoute Marie. Puis ils multiplient les bons réflexes à avoir : s’assurer que quelqu’un est toujours en train de filmer, de se laisser tomber une fois pris pour être un poids mort, éviter de porter des ceintures, des jupes et des talons… Ils font une démonstration des meilleures techniques de chaîne humaine.
La journée se termine sur un point juridique. « La partie la plus chiante », plaisante Marie. Les questions fusent. L’attitude à adopter en GAV, les risques de procès, le déroulement d’une comparution immédiate « qu’il faut absolument refuser »... Les deux formateurs répondent à chaque interrogation en prenant soin d’illustrer avec des exemples.
Au bout des huit heures de formation, chacun est invité à faire un bilan de cette initiation. « Je suis fatiguée, parce que c’était intense, mais ça m’a donné envie de m’impliquer », explique Maude*. Morgane, elle, se dit prête à s’engager, tandis que Marc* remercie tout le monde : « Je suis particulièrement heureux d’avoir pu partager. Car c’est un univers extrêmement anxiogène ». Thierry conclut par une tentative de recrutement : « Si des personnes sont intéressées pour apprendre à former, on en a besoin ! »
*Les prénoms des participants avec un astérisque ont été modifiés à leur demande.
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