La militante suédoise pour le climat, Greta Thunberg, intervient ce 23 juillet à l’Assemblée nationale. Sa venue a fait l’objet de critiques virulentes à droite. Comment expliquer ce mépris ? Nous avons interrogé Erwan Lecœur, sociologue et spécialiste de l’écologie politique.
La porte-parole du mouvement mondial de la jeunesse pour le climat Greta Thunberg irrite la droite. Sa venue pour un débat organisé à l’Assemblée nationale ce mardi 23 juillet a déclenché un vent de révolte chez les députés Les Républicains (LR), qui ont rivalisé de mépris pour critiquer son intervention, niant sa capacité même à être une militante déterminée et autonome. Agée de seulement 16 ans, elle serait illégitime à avoir la parole. A chaque fois qu’elle est médiatisée, comme lors de sa dernière interview à Libération (elle avait fait la « une »), la même machine à discréditer se met en branle, comme si son discours alarmiste sur l’urgence climatique était insupportable, en dépit des rapports scientifiques qui la soutiennent. Le sociologue, spécialiste de l’écologie politique, Erwan Lecoeur, analyse les ressorts de cette haine.
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L’annonce de la prise de parole de Greta Thunberg lors d’un débat à l’Assemblée nationale a suscité un tollé chez certains députés de droite. Comment expliquez-vous la virulence de ces attaques et le caractère quasi-épidermique des réactions ?
Erwan Lecoeur – Il semble assez clair que la droite la plus dure a décidé de réagir de façon agressive et caricaturale à tout ce qui n’entre pas dans son logiciel de pensée, qui date du milieu du XXe siècle, et ceci pour des raisons à la fois d’incapacité à comprendre le monde et ses évolutions, mais aussi pour des raisons de posture intellectuelle. Cette tendance politique a toujours considéré que l’ordre venait du respect des vieilles idées et que les jeunes n’avaient pas voix au chapitre. Encore moins une très jeune femme, sauf peut-être s’il s’agit de Jeanne d’Arc ou de Marion Maréchal, figures quasi-virginales, qui veulent au contraire restaurer l’ordre ancien.
Mais ces réactions sont aussi guidées par des enjeux de politique politicienne et de calculs. Pour certains députés LR, il y a une élection interne à venir et un positionnement « trumpien » à endosser dans le pays. Le lepénisme n’est pas le seul à incarner cette posture, même si au Rassemblement national (RN) aussi, il faut continuer d’attirer l’électorat qui refuse de parler du climat, et préfère s’inquiéter pour son identité et sa sécurité.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que la droite la plus réactionnaire soit virulente à l’égard de Greta Thunberg. Cette frange politique a toujours été très dure contre les mouvements de libération au cours de l’Histoire, et contre ceux de la jeunesse en particulier, de Mai 68 aux marches pour le climat. Il n’y a là rien de très nouveau sous le soleil en réalité, ni rien de très probant. Ni sur le style, ni dans le fond.
Derrière ces attaques, y a-t-il aussi du mépris pour les personnes atteintes du syndrome d’Asperger, comme Greta Thunberg ?
C’est difficile à dire, mais il y a sans doute quelque chose d’un peu méprisant derrière ce refus d’entendre la voix d’une jeune femme qui ne correspond pas à leurs critères habituels de représentativité sociale et politique. La force de Greta Thunberg, c’est justement qu’elle ne tient pas compte de l’opinion que les gens peuvent avoir d’elle. Son syndrome la maintient, comme certains autres personnages similaires dans l’Histoire, dans une dimension un peu parallèle, où ce qu’elle estime être l’essentiel lui apparaît plus fortement, plus pressant, plus nécessaire. Ses difficultés à socialiser dans la vie de tous les jours sont compensées par sa faculté à aller de l’avant, à suivre un chemin qu’elle s’est choisi, quel qu’en soit le prix ou les conséquences pour son image, son ego, qui est très différent de celui de ses détracteurs.
D’ailleurs, beaucoup de spécialistes estiment que ce syndrome d’Asperger devrait être mieux étudié pour nous apprendre des choses sur notre condition habituelle d’êtres humains en société. D’une certaine façon, cette jeune femme vient aussi nous dire avec un sérieux étonnant et parfois glaçant que le temps de la pusillanimité et du relativisme des valeurs est révolu. Et c’est sans doute ce qui choque et agace beaucoup les thuriféraires du relativisme, du libéralisme intégral et autres nostalgiques d’un Age d’Or révolu, qui n’a jamais existé.
L’un des pourfendeurs les plus acerbes de Greta Thunberg, le docteur Laurent Alexandre (qui se définit d’ailleurs comme “anti-collapsologue et anti-Greta Thunberg”), la juge “manipulée”, et même “instrumentalisée par des extrémistes”. Il y a aussi eu des rumeurs selon lesquelles elle serait entourée de communicants qui travaillent son image et qui seraient à l’origine de son mouvement de grève. Qu’en pensez-vous ? Ce ne sont que des fantasmes ?
Je ne connais pas bien ce monsieur Alexandre, qui semble avoir fait de la négation des résultats scientifiques son fonds de commerce médiatique. Bien sûr, en ces temps de complotisme exacerbé, on peut dire n’importe quoi, mais les fantasmes de ce monsieur et ses jugements sur « l’extrémisme » du discours environnementaliste et de quelques autres devraient peut-être rester privés.
Je suis pas jaloux de @GretaThunberg ! J’aimerais pas avoir des TOC graves, une dépression infantile, un mutisme sélectif, un Asperger avec monoideation et des troubles alimentaires graves me conduisant à être minuscule! Je respecte l’enfant malade mais regrette sa manipulation https://t.co/mn15qUfgNi
— Docteur Laurent Alexandre (@dr_l_alexandre) July 21, 2019
Quant à l’entourage de Greta Thunberg, il serait plutôt rassurant, utile et nécessaire qu’elle soit entourée par des gens capables de comprendre dans quoi cette jeune activiste s’est engagée et les risques personnels qu’elle prend pour alerter sur l’état de notre monde. Surtout vu la teneur des attaques – très intéressées et médiatiquement très payantes, pour le coup – de certains à son égard. Tous les communicants vous diront que, faute de comprendre le message, ou de vouloir l’accepter, c’est le messager qui parfois devient la victime.
Pour autant, il serait intéressant que des journalistes et des chercheurs nous éclairent un peu sur la façon et les conditions dans lesquelles sont apparu.e.s les jeunes porte-paroles de ce « phénomène social climatique » récent autour des marches internationales pour le climat, incarné par Greta Thunberg et par beaucoup d’autres, ailleurs. Cela compenserait utilement les fantasmes et les délires complotistes de tous bords.
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Ses détracteurs l’assimilent paradoxalement au “politiquement correct” auquel il faudrait se plier. N’est-ce pas une manière, pour eux, de ne pas assumer un désaccord de fond avec l’idée d’urgence climatique ?
Oui, bien sûr. C’est d’ailleurs absurde dans le cas présent car il n’est pas très politiquement correct de déclarer vouloir « effrayer » pour alerter sur les risques d’effondrement de notre civilisation. On sent bien que les gardiens du système climaticide ne trouvent plus d’arguments pour défendre leurs positions, leur mode de vie, voire parfois leurs privilèges.
Si je dis que je ne veux pas aller me prosterner devant @GretaThunberg cette enfant de 16 ans invitée à l’Assemblee devant la représentation nationale, je sors (encore?) du politiquement correct?
— Sébastien Chenu (@sebchenu) July 17, 2019
Pour rappel, cette histoire de « politiquement correct » a concouru à l’émergence de la Nouvelle droite en Europe, et de l’Alt Right aux Etats-Unis, pour décrédibiliser les revendications liées à l’égalité et au respect des droits des minorités. Cette Nouvelle droite s’est démocratisée dans les milieux réactionnaires et climatosceptiques, pour devenir l’argument de ceux qui n’en ont ont plus, face aux rapports scientifiques.
Pour se défendre face aux demandes d’égalité, ou de justice climatique et sociale, certains ont dénoncé la dictature des « bisounours », voire la tyrannie des « bobos ». On connaît tous autour de nous un de ces « boubours » – selon la nouvelle dénomination de “bourgeois bourrins” – aux arguments un peu courts et aux accents semi-conspirationnistes.
Greta Thunberg a-t-elle fait objectivement beaucoup, jusqu’à présent, pour accélérer l’action des gouvernements pour le climat ?
En termes sociologiques, Greta Thunberg est une incarnation parmi d’autres d’une minorité agissante : une minorité active, au sens psycho-sociologique du terme, capable d’influer sur la majorité. Elle incarne une branche d’un mouvement social qui tente de forcer les gouvernants à intégrer cet agenda dans le leur. Ces activistes jouent leur partition dans la symphonie que se jouent nos sociétés. Ils n’en sont pas le chef d’orchestre et n’ont pas tous les instruments en main. Par contre, leur action est nécessaire pour faire évoluer les représentations, les opinions et finalement les attitudes de la majorité.
Pour cela, Greta Thunberg et tous ceux qui se mobilisent depuis des années sur la question climatique savent qu’ils doivent mener une bataille symbolique, sémantique et médiatique qui doit pousser, voire forcer les gouvernants à évoluer au rythme de la société. Car aujourd’hui, le monde politique est en retard sur son opinion publique et sur l’urgence environnementale et sociale. C’est aussi cela que les plus jeunes viennent rappeler à leurs aînés : « Non seulement vous n’avez pas su, ni voulu préserver la planète, mais vous voudriez nous empêcher ou nous reprocher d’agir pour préserver notre avenir. » C’est bien sûr ce qui dérange fortement certains segments de la société, dans le déni, ou volontairement sourds à ces attentes. On peut le comprendre : nul n’aime être mis en accusation de complicité par des victimes.
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