[Les scandales qui ont secoué Hollywood] Ne se cachant pas de ses amitiés avec les plus gros bonnets du crime organisé (comme Al Capone), l’acteur George Raft excellait dans les rôles de gangster et de danseur. Il accumula les liaisons avec des stars féminines et refusa, pour de confuses raisons, de nombreux rôles qui firent le succès d’Humphrey Bogart. Portrait d’un homme mystérieux qu’un geste banal rendit immortel.
Retrouvez un nouvel épisode de notre série sur les scandales qui ont secoué Hollywood, tous les jeudis de juillet ! Des articles écrits en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF.
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Dans Certains l’aiment chaud de Billy Wilder (1959), un personnage de jeune gangster de la pègre s’amuse à lancer une pièce en l’air et à la rattraper, plusieurs fois de suite. Un Parrain passe devant lui et lui lance : “Où as-tu appris à faire ça ?”. L’acteur qui prononce ces mots est Georges Raft, un acteur déjà plus tout jeune. Si Wilder lui demande de prononcer cette réplique assez inutile dans le récit, c’est pour faire un clin d’œil au public : George Raft est l’homme qui a « inventé » ce geste dans Scarface d’Howard Hawks, en 1932, l’un des chefs-d’œuvre des films de gangsters. Nul, à la fin des années 50, ne l’a oublié, ce moment où ce tueur s’adonne à ce petit jeu avant que son chef lui ordonne d’abattre froidement un traître. Ce geste est resté dans toutes les mémoires cinéphiles jusqu’à aujourd’hui. L’homme qui l’accomplit était un homme assez, disons « étrange »…
George Raft dans Certans l’aiment chaud de Billy Wilder (1959) (capture d’écran)
George Raft déclare à un journaliste qui l’interviewe dans les années 70 qu’il ne s’est jamais considéré comme un acteur : “Je voulais être moi”. Peut-être faut-il chercher là l’explication de son rapport assez étrange avec le métier qui lui permit, au moins pendant quelques décennies, d’en vivre confortablement et de laisser dans l’histoire du cinéma un geste ludique que tout le monde connaît parce qu’il est resté dans l’histoire du cinéma : celle d’un homme qui jette une pièce en l’air et qui la récupère de la même main, geste répété plusieurs fois de suite. Que signifie ce geste, cette manière de faire tournoyer une pièce en l’air comme certains adolescents, dans les collèges, s’amusent à faire tourner leurs stylos entre leurs doigts ? Que cet homme se distrait en attendant quelque chose, qu’il est impatient, qu’il s’ennuie ? Que la vie, ça se joue à pile-ou-face, comme le chantait Corynne Charby dans les années 80 ?
Une enfance en milieu difficile
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Raft a en tout cas mis du temps à trouver sa voie. Le 20e siècle a un an quand le petit Ranft ou « Rauft » (on ne sait pas très bien, le nom ayant sans doute été mal orthographié quand le grand-père de George arriva aux Etats-Unis) naît dans une famille d’origine allemande (peut-être juive, le doute subsiste), à New-York, dans le Hell’s kitchen (la « cuisine de l’enfer »…). C’est alors le coin le plus mal famé de Midtown west, sur Manhattan. George y grandit et se lie tout naturellement avec les autres enfants et adolescent du quartier, dont certains possèdent très vite des casiers judiciaires longs comme le bras de la statue de la Liberté.
George connaît notamment très bien un garçon plus jeune que lui de cinq ans, qui habite Brooklyn : Benjamin Hymen Siegelbaum. Adulte, Siegelbaum va faire parler de lui sous le nom de Bugsy Siegel, qui n’évoque sans doute rien pour la plupart des lecteurs français, mais qui est très célèbre aux Etats-Unis (Stommy Bugsy lui a emprunté une partie de son pseudo…) va devenir l’une des plus remarquables spécimens de gangster (voleur, arnaqueur, bootlegger, racketteur, violeur, tueur sadique) de la pègre juive new-yorkaise (celle qui fascinait tant le père de Woody Allen, si l’on en croit les mémoires de ce dernier) des décennies à venir.
George, après l’école, fait des petits boulots : un jour coursier, le lendemain il emballe des poissons. L’école, il la quitte à 12 ans, sa famille à 13. Il devient apprenti électricien, puis boxeur professionnel à 15 ans, pendant deux ans, sous le pseudo de « Dutch Rauft » (“Rauft le Hollandais”). Il s’essaie aussi au baseball, sans grand succès.
D’abord danseur
George est plutôt beau gosse. A 17-18 ans, mince, le regard noir, les cheveux gominés, le visage en lame de couteau, il devient taxi-dancer pour dames dans des boîtes de nuit. Il raconte : “J’essayais seulement de trouver un truc qui me plairait et qui me ferait vivre ». Il a appris à danser les danses de salon avec à sa mère, alors il bosse, de plus en plus, enchaîne les boîtes, danse progressivement chez Maxim’s et au El Fey, un speakeasy (une boîte de nuit clandestine où l’on consomme de l’alcool, pendant la Prohibition) qui appartient à Larry Fay, l’un des plus fameux bootleggers. Il y fait la connaissance de la future star Rudolf Valentino, alors inconnu, et d’une certaine Texas Guinan (show girl d’origine québécoise propriétaire d’un cabaret). Il donne des coups de main, participe à des livraisons d’alcool frelaté, fournit des alibis… Rien de bien grave.
Un jour, Raft gagne un concours de Charleston. Le magazine Variety, en annonçant sa victoire, le dit “doué« . Il gagne en notoriété. Nous en sommes en 1925. Plus tard, il dira à un journaliste : « J’aurais pu être le premier danseur classé X. J’étais très érotique. Je caressais pendant que je dansais. Je n’ai jamais senti que j’étais un grand danseur. J’étais davantage un styliste, unique. Je n’ai jamais été Fred Astaire ou Gene Kelly, mais j’étais sensuel« .
Depuis 1923, il est marié avec une jeune femme d’origine irlandaise, Grace Mulrooney. Ils se séparent très rapidement, mais Grace refusera jusqu’à sa mort (en 1970) de divorcer, obligeant Raft à lui verser 10 % de ses revenus.
Hollywood et la gloire !
Et puis, lors d’une tournée avec Texas Guinan, il se retrouve à Los Angeles. Hollywood et le cinéma parlant naissant s’intéressent à ses dons de danseurs. C’est ainsi qu’il entre dans le cinéma. Il enchaîne, les petits rôles dans des comédies musicales inégales comme Side Street (1929), Goldie (1931), Palmy Days (1931) and Taxi ! (1932).
Le tournant de sa vie a lieu en 1932. Le génie du cinéma qu’est Howard Hawks doit réaliser Scarface (« le balafré »), l’adaptation d’un roman policier publié en 1929. Or le livre s’est vendu sur l’idée (fausse) qu’il s’inspirait d’Al Capone (parce qu’il avait trois cicatrices sur la joue gauche), alors qu’il n’en est en réalité rien, même si l’histoire est évidemment l’histoire de l’ascension et de la mort d’un gangster extrêmement violent, voire psychopathe. Al Capone voit ce film d’un mauvais œil. C’est là que l’histoire ou plutôt la légende entre en jeu : si George Raft entre dans le casting de Scarface, c’est, semble-t-il, autant pour y accomplir son rôle d’acteur que pour rendre compte à son ami Alfonso Capone de ce qui se passe sur le tournage, et surtout, pour lui rapporter quelle image de lui va donner de lui la mise en scène de Hawks et le jeu halluciné du grand Paul Muni. Vrai ou faux, il semble que Raft ait rassuré Capone.
Paradoxalement, le film est l’objet de critiques violentes : on lui reproche la glorification des gangsters – ce qui, vu de nos jours, semble aberrant, tant le film s’escrime à décrire les gangsters comme des crétins et des malades mentaux incapables de contrôler leurs émotions. Après quelques modifications, Scarface ne sort que deux ans après la fin du tournage. Et c’est donc là que naît le mythe de George Raft, le mauvais garçon au regard noir qui jette nonchalamment sa pièce de monnaie, le rend célèbre.
Ses amis gangsters (notamment Bugsy Siegel), attirés eux aussi par les lumières et les beautés féminines d’Hollywood, résident chez lui quand ils descendent à Los Angeles.
La presse française se penche sur son cas :
Raft enchaîne les films, joue notamment aux côtés d’Humphrey Bogart, d’Ida Lupino et d’Ann Sheridan dans le superbe Une femme dangereuse (They Drive by Night) de Raoul Walsh, en 1939. Et puis, pour une raison qui demeure mystérieuse, Raft ne devient pas une star. Pourquoi ? Parce qu’il refuse des rôles importants, dont son ami Humphrey va profiter et sur lesquels va se construire sa gloire. Regardez : Raft a par exemple refusé les rôles principaux du Faucon maltais de John Huston, de High Sierra de Raoul Walsh et de Casablanca de Michael Curtiz. Trois grands films de l’histoire du cinéma hollywoodien classique…
Raft, lui, préfère danser :
Boléro de Wesley Ruggles (1934)
… Danser…
Broadway de William A. Seiter (1942)
Et danser encore…
Outpost of Morocco de Robert Florey (1949)
Raft ne cache rien de ses liens avec le milieu du crime. Ils font partie de lui, de sa légende.
La presse française s’y intéresse elle aussi :
En 1936, Midinette titre :
On se dédélecte même de ses mauvaises fréquentations (ici, lors d’un séjour en Europe) :
Et puis, il y a aussi une autre légende, qui mériterait qu’on la vérifie aujourd’hui. En 1942, le grand acteur James Cagney devient le président de la guilde des acteurs pour deux ans. Il annonce fièrement qu’il allait lutter contre la mafia, qui semblait s’intéresser de plus en plus à Hollywood. L’épouse de Cagney reçoit un jour un coup de téléphone qui lui annonce la mort de son mari… Ce qui est faux. Ce dernier rend compte publiquement de cet appel pour montrer sa volonté et son courage. Pour toute réponse, Cagney obtient une rumeur : il aurait un contrat sur le dos. Raft, qui a Cagney à la bonne, donne, selon la légende un coup de téléphone à qui de droit et le contrat est annulé… Vérité ou légende ? Au vu des résultats de la lutte contre le crime organisé au sein d’Hollywood (…) de la présidence Cagney à la tête de la guilde en 1944, on peut se demander ce qu’il en fut vraiment. Mais la réputation de Raft en sort consolidée : il a l’oreille des caïds.
Une fin discrète
Plus ses conquêtes féminines se multiplient, plus sa carrière d’acteur décline. On lui attribue des liaisons avec de nombreuses actrices, parmi lesquelles Betty Grable, Marlene Dietrich, Tallulah Bankhead, Carole Lombard, Mae West, Sylvia Sydney, Norma Shearer…
A vrai dire, dès 1936, sa réputation de tombeur n’était plus à défendre :
En 1947, ce “précurseur” de Bugsy Siegel (il est l’un des premiers à diriger des casinos dans une ville perdue du désert du Nevada nommée Las Vegas) meurt par où il a péché : il est abattu chez sa maîtresse… Rien ne va plus.
Raft quitte le cinéma. Fait une dernière apparition, une autocitation, chez Wilder… Au moment de la révolution cubaine contre le dictateur Batista, il tient une boîte de nuit à La Havane… Il en est chassé.
On l’aperçoit une dernière fois, en 1967, au milieu de dizaines de vedettes, dans l’adaptation parodique et farcesque d’une aventure de James Bond, Casino Royale.
Encore une fois, il fait son petit numéro de la pièce…
Il termine sa vie comme employé dans une agence de location de l’hôtel Riviera, à Beverly Hills. Et meurt en 1980.
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