Réédition de l’œuvre tardive, entre France et Portugal, du grand cinéaste chilien décédé il y a presque huit ans. Quatre joyaux de poésie fantasque et d’humour matois.
Raoul Ruiz n’a jamais été un cinéaste à la mode. Ce qui explique, sans doute, que depuis sa disparition, il y a presque huit ans, on n’ait guère entendu parler de lui et de ses nombreux films, hormis lors d’une rétrospective à la Cinémathèque française en 2016. Mais voici qu’au début du mois d’août, la ressortie de quatre œuvres majeures du réalisateur franco-chilien nous permet enfin de revenir sur un cinéma en tous points unique, un cinéma qui n’a pas de descendance et qui n’a guère de précurseur, hormis peut-être le grand Luis Buñuel.
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Soit Trois Vies et une seule mort (1995), Généalogies d’un crime (1996), Le Temps retrouvé (1999) et Mystères de Lisbonne (2010). Quatre films appartenant à la dernière période du cinéaste, un moment privilégié où Raul Ruiz, produit par le corsaire Paulo Branco, sort d’une certaine clandestinité pour rencontrer la fine fleur du star-system français ou apparenté (Catherine Deneuve, Michel Piccoli, Marcello Mastroianni, Emmanuelle Béart, Vincent Perez ou John Malkovich).
Ce croisement entre un univers baroque, crypté, labyrinthique et une certaine idée du cinéma français, presque à l’opposé, n’est pas le moindre charme de ces films qu’on découvre ou redécouvre avec un vrai plaisir.
Complots psychanalytiques et étranges métempsycoses
Les deux premiers – Trois Vies et une seule mort et Généalogies d’un crime – sont le fruit de l’imagination scénaristique proliférante de Ruiz et d’un de ses complices privilégiés, Pascal Bonitzer. Il y est question de personnalités multiples, de complots psychanalytiques et d’étranges métempsycoses. Ce sont des contes de fées tordus, métaphysiques, ludiques, drôles et souvent inquiétants qui flirtent avec une sorte de fantastique et qui tordent admirablement le cou à la légende selon laquelle Ruiz serait un cinéaste difficile.
Dans les deux derniers – Le Temps retrouvé et Mystères de Lisbonne –, Ruiz se confronte à la grande littérature (Marcel Proust et Camilo Castelo Branco) et s’en sort admirablement bien. Pour Le Temps retrouvé, le cinéaste réussit l’exploit d’adapter pratiquement toute La Recherche en moins de trois heures.
“Mystères de Lisbonne”, le testament artistique
Visconti et Losey l’avaient rêvé, Ruiz l’a fait en utilisant tous les moyens à sa disposition : miroirs, trompe-l’œil, théâtre d’ombres, simulacres, jeux sur le flou… Un véritable festival qui finit par retrouver, comme par miracle, l’esprit proustien. Un peu plus sobre, et plus concentré sur le récit, Ruiz signe avec Mystères de Lisbonne une sorte de mélodrame feuilletonesque d’une virtuosité ébouriffante et d’une profondeur inoubliable qui prend la forme d’un testament artistique totalement accompli.
Thierry Jousse
Trois Vies et une seule mort (Fr., Port.,1995, 2h03),
Généalogies d’un crime (Fr., 1996, 1h53),
Le Temps retrouvé (Fr., It., Port.,1999, 2h38),
Mystères de Lisbonne (Fr., Port., Brés., 2010, 4h32),
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