Après un exil à Los Angeles, le rapeur rentre en Floride et signe un disque de hip-hop pur et dur où il raconte sa ville et ses zones d’ombre.
Il faut croire que Charles Aznavour avait tout faux. Sous le soleil, la misère n’est pas plus facile à supporter, et Denzel Curry ne cesse de nous le rappeler. Plutôt que de s’approprier les codes du mafioso rap propre à Miami ou de ne raconter sa ville qu’à travers son versant idyllique et festif, fait de spring breaks et de soirées endiablées sur la plage, le Floridien a décidé de la cartographier, d’en raconter ses pires travers.
Après tout, Denzel Curry est jeune, 24 ans. Comme n’importe quel garçon de son âge, il est donc sensible à l’injustice : de sa jeunesse passée à Carol City à la disparition de certains de ses proches (Ricky, où il rend hommage à son frère, décédé en 2014), on comprend qu’il a souffert des inégalités, et qu’il ne peut fermer les yeux là-dessus, trop fier pour baisser les bras, trop conscient pour simplement œuvrer à être le poster boy idéal d’un rap de plus en plus institutionnalisé. En clair, Denzel Curry ne sera probablement jamais l’équivalent de Drake niveau popularité, mais il l’assume pleinement.
La Floride fait partie intégrante de son ADN
On ne soulignera pourtant jamais assez l’aplomb naturel, la fougue et la créativité de ce rappeur, qui parvient à rappeler avec ZUU que son hip-hop est à son meilleur lorsqu’il se montre très fâché avec les compromis, la raison, le calibrage. Le successeur de TA1300, publié l’an passé, pourrait dès lors se résumer ainsi : douze morceaux parfaitement abrupts, vingt-neuf minutes de folie pure, d’énergie primaire et de récits intenses, entièrement voués à relater une région. Ici, il se souvient d’un marché aux puces de Miami Gardens aujourd’hui disparu. Ailleurs, il mentionne la Blackland Radio 66.6., sample MC Cool Rock & MC Chaszy Chess, laisse Bushy B gérer un interlude et dit avoir été “élevé par Trina, Trick, Rick et Plies”, créant ainsi des ponts entre sa génération et celle de ses aînés.
On comprend dès lors que la Floride fait partie intégrante de son ADN, à l’image de cette pochette où il porte le jersey des Marlins (l’équipe de baseball de Miami) et reprend le logo de Poison Clan, formation locale ayant œuvré dans les années 1990. A l’image également de ses invités, tous originaires des environs : Kiddo Marv, Rick Ross, Tay Keith, Sam Sneak et le vétéran Ice Billion Berg, venus prêter main forte sans jamais faire de l’ombre au maître de cérémonie.
Car c’est bien Denzel Curry qui impressionne ici, avec ce mix fluide de textures et d’ambiances, cette façon de faire corps avec l’héritage hip-hop de Miami (cette basse puissante, ces sonorités caribéennes, ces bangers tendus, ce flow brut et nerveux, etc.), cette précision dans les paroles, ou encore cette aisance à raconter quelque chose d’universel à travers le prisme de sa propre histoire. Sans chercher à épargner l’auditeur : “J’ai grandi dans une ville où la plupart des gens n’ont pas d’objectif/Juste des négros au sang-froid dans un endroit où il ne neige jamais”, place-t-il en conclusion de P.A.T.
ZUU (Caroline/Universal)