Un biopic documentaire d’une grande intensité romanesque sur la princesse pop des années 1980-90.
On se rend compte dans ce documentaire musical qu’il y avait, chez Whitney Houston, quelque chose d’Emma Bovary : ce truc semi-divin (la voix bien sûr, mais aussi le visage étrangement lisse, le sourire d’enfant) resté quasi intact au travers d’une vie pourtant secrètement très viciée ; ce mariage avec un homme falot ; cette fille mise au monde et presque tout de suite horriblement négligée ; et puis ces excès en surchauffe, sans arrêt, jusqu’à l’explosion.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sacrifiée romanesque
Evidemment, la grande différence, c’est qu’à Whitney il ne manquait, matériellement, rien. Mais là où le film que lui consacre Kevin Macdonald trouve un coup à jouer, une manière de s’incarner avec force, tout en restant
dans les clous connus du biopic de star – rise and fall rythmé par les archives télé électrisantes, les confessions feutrées des proches et le semi-tabou de la dope –, c’est bien en faisant d’elle une sacrifiée d’un genre particulier. Une sacrifiée pop, certes, banalement consumée par les abus les plus courants du show-business, mais une sacrifiée romanesque aussi, rattrapée comme l’héroïne de Flaubert par une espèce de médiocrité du monde.
Whitney n’est pas morte à son zénith comme les icônes du Club des 27. Elle est partie à 48 ans dans une baignoire de Beverly Hills, sous l’effet d’un cocktail de drogues et de médicaments. Sa vie est celle d’une interminable chute du beau vers le laid, et une grande, une bouleversante (allez) compassion nous prend à la vue de ce glissement tel que Macdonald le dépeint.
L’histoire d’une princesse de conte que personne n’est jamais venu sauver
On l’attrape dans une image illusoirement pure de l’enfance (illusoire, parce que le film laisse les proches relater un peu plus loin les attouchements supposés de Dee Dee Warwick, cousine de Whitney ; Dionne, sœur
de l’accusée, a depuis démenti ces accusations), avec son petit surnom (Nippy), son tempérament gai, son don vocal, et bien sûr cet entourage familial bien commode : des frères protecteurs et des cousines chanteuses à la mère semi-connue, parée à faire d’elle un astre au moyen d’une discipline de fer. On traverse l’entrée en gloire, avec son adrénaline passagère et son isolement, déjà : ces envieux et courtisans qui font si tôt d’elle une déesse sans allié, fâchée pour de bon avec le père vénal (elle sèchera ses obsèques), indifférente au mari jaloux.
Puis la chute ? C’est plus compliqué : la sienne a commencé bien avant le sommet. Dès l’enfance, on sent à travers Whitney quelque chose d’une grâce trop grande, dont le drame est qu’elle fut dès le départ plus ou moins impossible à partager, sinon par la voix, et que la star fut donc bien obligée d’à nouveau faire, douloureusement, partie du monde.
Sa légende, ici subtilement racontée, tient à un goût paradoxal du public à la fois pour sa perfection et pour son enlaidissement (dernière preuve en date : la célèbre photo de sa salle de bains de junkie, comme une injure post mortem, en cover pic de l’album de Pusha T). C’est l’histoire d’une princesse de conte que personne n’est jamais venu sauver, sinon un bodyguard de fiction qui lui aura bien manqué dans la réalité.
Whitney de Kevin Macdonald (E.-U., 2018, 2 h)
{"type":"Banniere-Basse"}