Ouri, une jeune multi-instrumentiste et productrice française, s’attaque à un défi pharaonique: réconcilier pop music, tradition classique et musique électrique charnelle. Son premier EP est une lettre d’intention pleine de promesses.
Le R’n b moderne partage de nombreux points communs avec la musique disco. Pas toujours pris au sérieux, raccourcis par certains uniquement en musiques de célébration, de pulsations du corps amoureux, les deux styles ont été des terrains de jeux et d’expérimentations immenses, offrant enfin à entendre la réconciliation des machines et des instruments organiques.
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Le violoncelle comme instrument de prédilection
On pourrait illustrer cette idée d’une image frappante : celle d’Arthur Russell, figure sacrifiée de l’underground new-yorkais 80’s, sur toutes les lèvres (de Kanye West à Blood Orange) depuis sa redécouverte et qui navigua un violoncelle sous le bras entre les clubs discos et les résidences d’artiste chez Philip Glass. C’est le même instrument qui aujourd’hui préside au processus de création d’Ouri, une jeune musicienne et productrice à la pointe de la musique électronique mondiale.
“J’ai eu longtemps honte de faire du violoncelle. Mes premiers copains trouvaient ça bizarre et un peu nul. Mais c’est mon instrument préféré, c’est la “chose” que je préfère, un plaisir secret. C’est un lien magnifique entre avant-garde, pop et tradition. J’aimerais beaucoup réconcilier ces trois-là.”
Installée à Montréal, la jeune française s’apprête à sortir We Share Our Blood, 1er EP pour la maison new yorkaise Ghostly International (Matthew Dear, Shigeto), pas la dernière pour réconcilier les machines et les cordes au milieu d’un dancefloor. Cette collection de pièces tantôt instrumentales, tantôt chantées renoue avec une certaine tradition du R’n b synthétique dont les bases ont été posées par Timbaland au tournant des années 2000. On y retrouve le côté glaçant d’une musique faites de tensions, de frustrations et parfois d’explosions.
“J’aime le minimalisme froid et précis et en même temps je suis obsédée par l’expression la plus sensuelle. J’ai besoin de cette dualité. Je ne veux pas rentrer dans une analyse psychologique mais ça représente bien le couple de mes parents. S’il y a quelque chose d’agressif dans ma musique, il faut qu’il y ait quelque chose d’hyper doux aussi. S’il y a quelque chose de lent, il faut que cette lenteur soit ornée de mordant et de vie. C’est ce qui me fascinait quand j’était petite, lorsqu’il y avait un décalage. “
« Réconcilier la superpuissance technologique et la vérité directe de l’acoustique »
Ces décalages, en l’occurrence, contribuent grandement à la réussite de cet EP qui semble enfin tenir les promesses d’un R’n b futuriste vanté régulièrement par la presse anglo-saxonne et qui trop souvent se vautre dans les clins d’yeux faciles ou se fait dévorer par des figures tutélaires indépassables (celle d’Aaliyah notamment).
Les instrumentations d’Ouri se sont nourries avec raison d’une école de la musique club transversale, celle du label Border Community notamment, dont l’ombre plane par exemple sur le titre “We Share Our Blood”.
“J’adore mes synthés, mon ordinateur et l’infinité des possibilités que ça offre. Mais j’ai envie de réconcilier la superpuissance technologique et la vérité directe de l’acoustique. Je n’ai pas une collection immense d’instruments mais mon studio est à la fois rempli de machines et de “vrais” instruments (en bois) (lap steel guitar, violoncelle, bass, piano électrique, kora, harpe). Ce qui m’impressionne c’est la musique, pas le procédé qui est utilisé.”
Pour humaniser davantage ses paysages synthétiques, Ouri convoque un chant à la maîtrise sensuelle qui se heurte à des vocalises triturées et retravaillées. C’est ce procédé qui donne naissance à l’un des sommets du disque: Escape. C’est la première fois qu’Ouri chante sur ses compositions, elle qui officie à la production de nombreux autres artistes dans son studio montréalais.
“J’adore produire pour d’autres artistes. C’est là que se fait une grande partie de mon évolution et de mon apprentissage. Il faut que ce soit hyper naturel, pas trop forcé. J’ai travaillé avec des artistes de Montréal uniquement: Mind Bath, Forever, Antony Carle, Milk & Bone, Heartstreets, Odile M. Mais j’ai aussi beaucoup collaboré sur de la musique instrumentale avec CRi, on a bcp appris ensemble.”
Montréal c’est là que cette jeune française a atterrit à l’âge de 16 ans.
“À mi-chemin de ma première au lycée, ma mère m’a proposé de partir étudier à l’étranger. J’étais un peu insupportable, c’est la meilleure décision que ma mère ait prise. À 16 ans, je suis arrivée ici, j’ai continué les études en sciences, j’ai eu mon diplôme et j’ai fini mon bac français par correspondance. Même si j’adorais les sciences, j’avais le rêve extrême de me lancer en musique. Mon père m’a beaucoup encouragée à me lancer. “
Montréal, épicentre créatif d’une nouvelle scène de musique électronique
Ville de tous les extrêmes climatiques, qui brasse les influences du monde entier, Montréal est depuis quelques années l’épicentre créatif d’une nouvelle scène de musique électronique très ouverte et qui fait la part belle aux musiciennes. On pourrait citer la house psychée de Ramzi, l’electro pop barrée de Pascale Project ou les succès internationaux de Grimes et Marie Davidson.
“A Montréal, j’ai développé mon goût pour la musique électronique, pour le rap. Ce qui m’a amené à m’intéresser à la production. Non seulement c’était la liberté extrême sur ce plan mais socialement aussi. Malgré tous les risques que j’ai pu prendre, je me suis toujours sentie en sécurité dans cette ville. J’ai collaboré avec des gens que je rencontrais n’importe où, je sortais seule, je rencontrais des gens tout le temps. Je commençais à me rendre compte que je voulais vraiment me lancer en musique et que ça pourrait être réalisable dans cet environnement.”
Aujourd’hui, Ouri aspire à ce qui semble pour beaucoup une utopie: réconcilier la pop et l’underground.
“Lorsque mon grand frère jouait au piano Doctor Gradus ad Parnassum de Debussy, ça me transportait à chaque fois. Je me souviens aussi d’écouter ses disques de rap dans mon lit, je ne comprenais aucune parole mais j’adorais l’intensité et l’agressivité dans leur voix. J’écoutais aussi en boucle Mariah Carey, Beyonce. Dans l’héritage classique, il y a une forme d’élitisme et de fermeture sur le monde populaire que je veux à tout prix éviter. “
We Share Our Blood de Ouri sort le 28 septembre chez Ghostly International.
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