Hymne à l’autodéfense, à l’affirmation de soi et à l’empathie, la première BD de Claire Duplan donne vie à la super-héroïne qu’on attendait tant contre les « relous » : Camel Joe. Cette « défenseuse de zouz et niqueuse de patriarcat » jongle entre l’indignation, la colère et l’humour pour aider toutes et tous à s’émanciper dans une société post #MeToo. Un ouvrage à mettre entre toutes les mains, préfacé par la grande bédéiste Pénélope Bajieu.
« Du coup je lui ai dit : soit tu payes la moitié de ma pilule, soit tu me touches plus ! », assène une passante sur le quai de métro, avant de complimenter Constance sur ses leggings panthère. Constance, c’est l’héroïne de la BD Camel Joe. Féministe révoltée et illustratrice fauchée, elle dessine les aventures d’une super héroïne de sa propre création, répondant au doux nom de « Camel Joe ».
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Dans les planches de Constance, Camel Joe court au secours des femmes harcelées dans la rue, en s’attaquant férocement aux agresseurs. Intrépide, elle est toujours accompagnée de sa chatte, qui ne pourrait s’appeler autrement que « Ninja Pussy » (en anglais, « pussy » est le terme argotique désignant le sexe féminin, ndlr.).
Bien loin de la tenue des héros Marvel, Camel Joe préfère porter un legging guépard (le style, avant tout), un t-shirt laissant le ventre à l’air, des baskets et un eye liner sur ses paupières. Et si elle veut s’allier avec une autre super héroïne, elle peut toujours faire appel à sa meilleure amie, « Gamma Rae », dotée du « boobie power » (« pouvoir des seins »). Grâce à ses tétons très puissants, elle envoie des rayons gamma aux « relous ».
“Confondre les femmes avec des sachets de mayo du McDo”
Dans cette ouvrage aux airs de métafiction, Claire Duplan narre ainsi la vie quotidienne de Constance, celle qui donne vie à Camel Joe. Comme d’autres féministes d’aujourd’hui, ses planches engagées attirent les foudres d’internautes malveillants, qui la harcèlent en ligne. Mais pour Constance, hors de question de « rester à ma place de gentille fille inoffensive et faire des sourires, parce que des gros cons se vexent et craignent pour leurs petits privilèges », s’énerve-t-elle. Artiste activiste, elle tente tant bien que mal de se défendre face aux harceleurs de rue, et arrose ses plantes avec son sang menstruel, gorgé de protéines.
Grâce à des métaphores percutantes, la dessinatrice Claire Duplan tourne au ridicule (et à l’inacceptable) les agressions du quotidien. Et pousse de vrais coups de gueule. L’aventurière Camel Joe propose aux « relous » de « s’arrêter, respirer et s’asseoir sur leur bite » pour « éviter l’erreur hélas bien trop commune de confondre les femmes autour de vous avec des objets à votre disposition, tels des sachets de mayo du McDo ». Au lieu de peloter la gent féminine, rien de mieux que d’entamer, ainsi assis, « un travail d’auto-analyse et de non-passage à l’acte ».
“T’façon le sexe hétéro c’est l’aliénation…”
Écrites en écho au mouvement #MeToo, les vignettes de Camel Joe évoquent aussi une oppression beaucoup trop courante, mais encore largement passée sous silence. Dans les couples hétérosexuels, la jouissance féminine est souvent reléguée au second plan, voire ignorée, dénonce Claire Duplan, à l’unisson avec le compte Instagram T’as Joui ?. « Il est où, mon orgasme à moi ? », peste une amie de Constance, après avoir eu une relation d’un soir décevante, où son partenaire a décidé de jouir puis de se coucher, alors qu’elle n’avait pas eu d’orgasme.
“C’est comme si tu partageais un coca avec un mec, et tu lui disais ‘finis pas tout, j’ai encore soif’… Et qu’il buvait tout jusqu’à la dernière goutte, tout peinard, en te regardant dans les yeux, sans la moindre gêne..!”
Dans des dessins très simples en noir et blanc, l’écriture mordante de Claire Duplan ressort. Quel pourrait bien être le pouvoir de Camel Joe face aux harceleurs de rue ? Mis à part son « pussy power », non négligeable, Camel Joe « maraboute » les agresseurs. Elle les pousse à voir leur mère chez toutes les filles qu’ils harcèlent, imagine Constance :
“C’est la manière la plus littérale de leur faire ressentir de l’empathie pour elle[s], et à réaliser qu’ils ont face à eux un individu et pas une proie…. Et ensuite, hantés par cette image, ils dépriment, bandent mou, entament une thérapie, et se mettent au tantra !”
On ne pourrait pas espérer mieux pour eux.
Claire Duplan, Camel Joe, Éditions Rue de l’échiquier BD, septembre 2018, 16,50€.
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