Le canular « Momo Challenge » va avoir droit à une adaptation au cinéma, alors que les creepypastas, ces légendes urbaines issues du Net, commencent à fasciner l’industrie du septième art. Petit tour d’horizon de ces points de convergence.
2018. Un visage cadavérique, au rictus effrayant et aux yeux écarquillés enflamme le web. Il s’agit d’une sculpture japonaise représentant une Ubume, un spectre du folklore japonais correspondant à une mère morte en couches. L’œuvre est signée par Link Factory, une entreprise d’effets spéciaux spécialisés dans le cinéma.
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Mais pour beaucoup de personnes, cette tête horrifique est devenue celle de Momo, légende urbaine largement répandue sur Internet, et qui a engendré un faux jeu horrifique, intitulé le « Momo Challenge ». Le principe ? Contacter, via la plateforme de messagerie instantanée WhatsApp, l’individu du même nom, qui prend le contrôle des données du téléphone de son interlocuteur, le poussant ainsi à une série de défis de plus en plus extrêmes, pouvant aller jusqu’au suicide.
Il n’en fallait pas moins pour qu’Hollywood se penche sur cette idée fascinante. D’après Deadline, la société de production Orion Pictures s’associe avec les producteurs Roy Lee et Taka Ichise pour porter sur grand écran ce monstre d’un nouveau genre. On doit déjà aux deux hommes la saga The Grudge, mais surtout les versions américaines de The Ring, dont le concept horrifique est finalement assez proche du « Momo Challenge » : le démon Sadako attaque ses victimes au travers d’une VHS maudite.
Quelle place pour les creepypastas à Hollywood ?
Depuis les années 90, la transmission des mythes et de la peur est devenue l’un des sujets de prédilection du cinéma d’horreur, dans un élan postmoderne où le phénomène surnaturel a besoin d’un intermédiaire. Mais cette interrogation de la part de l’industrie s’avère également complémentaire avec l’émergence des creepypastas, ces légendes urbaines issues du Net, et dont la particularité réside dans leur transmission par tous les formats possibles (image, vidéo, son, texte, etc.).
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Bien évidemment, le « Momo Challenge » rejoint cette catégorie. Alors qu’une bonne partie de la presse a relayé, inquiète, des articles alarmistes sur cette pratique supposément dangereuse – d’autant que certains suicides d’adolescents ont été mis sur le compte de Momo, son existence a été très vite remise en cause. Le « Momo Challenge » n’est en réalité qu’un canular né de groupes Facebook sud-américains, qui a su créer un véritable phénomène de panique, notamment relayé par une intervention de Kim Kardashian, mettant en garde contre les risques encourus à entrer en contact avec l’entité.
Le Slender Man, véritable mythe moderne
Néanmoins, Momo s’est tout de même répandu dans de nombreux pays du monde. Il n’est plus question de cultures ou de frontières pour qu’un mythe populaire se partage, et le cinéma observe de près la fabrication de ses nouvelles icônes de l’horreur, que l’on retrouve notamment dans la série American Horror Story. Par ailleurs, il n’est pas étonnant qu’Hollywood se soit jeté sur l’un des creepypastas les plus célèbres du Net : le Slender Man.
Décrit comme un homme sans visage de trois mètres aux bras démesurément longs, cet être effrayant est une création de Victor Surge, dans le cadre d’une expérience du site Something Awful. En effet, le but était de voir si Internet avait la possibilité de devenir un nouveau tremplin pour des récits horrifiques ancrés dans l’inconscient collectif. Et contre attente, le Slender Man est devenu un mème viral, s’exportant dans tous les types de médias, jusqu’à un jeu vidéo accessible en ligne qui a fait moiter plus d’une main.
Le succès du personnage a ainsi engendré la production d’un long métrage réalisé par Sylvain White en 2018, et demeuré inédit en France. Cela peut sans doute s’expliquer par la qualité toute relative du film, qui enchaîne sans grande envie une succession de poncifs horrifiques, comme si l’ensemble pouvait formater dans les codes éculés d’un média précis une créature issue d’une multitude de sources et de fausses preuves.
A vrai dire, le Slender Man a de toute façon déjà connu une très belle adaptation, sous la forme d’une web-série. En 2009, une chaîne Youtube du nom de Marble Hornets poste une mystérieuse vidéo, qui sera la première d’une longue lignée. On y suit Jay Merrick, le créateur supposé de la chaîne, qui explique montrer les rushes de son ami Alex Kralie, qui était en train de tourner un court métrage avant de couper court à la production. Jay se rend ainsi compte (et le spectateur en même temps que lui) qu’Alex était régulièrement confronté au Slender Man.
Jouant brillamment avec une multitude de formats d’images (pour beaucoup issues de caméras amateurs), Marble Hornets propose une évolution passionnante du found footage, qui amène le Slender Man a parasité différents régimes de médias (jusqu’aux faux comptes Facebook et Twitter créés par les réalisateurs de la série). Comme Le Projet Blair Witch en son temps, l’horreur prétend avoir réellement eu lieu, ayant été captée presque par accident par l’œil objectif d’une caméra. La froideur algorithmique du Net accentue ainsi la terreur que provoquent Marble Hornets et son voyeurisme étrange.
De possibles alternatives
Si l’adaptation de ce mythe moderne sur grand écran est ainsi à des années-lumière de ce postulat, le cinéma commence à communiquer avec les médias informatiques pour raconter de nouveaux types d’histoire. C’est notamment le cas de Timur Bekmambetov, producteur prolifique (et réalisateur inégal) qui a su créer la surprise avec l’étonnant Unfriended.
Le principe est on ne peut plus simple : pendant 1h30, le spectateur regarde la capture d’écran d’un ordinateur, alors qu’une bande d’amis se retrouve piégée sur Skype par le fantôme d’une ancienne camarade de classe. Comme avec Momo, l’entité a la capacité de pirater les données des disques durs, libérant de lourds secrets que le spectateur découvre avec la jouissance que décrivait Freud : celle de la pulsion scopique. Le plaisir inavoué d’assister au meurtre de plusieurs personnages devant leur propre caméra est amplifié par le fait que leur vie se déroule littéralement devant nos yeux.
Bekmambetov ne cesse de développer ce gimmick de réalisation, qu’il a surnommé le « Screen Life ». Avec sa grammaire passionnante (les fenêtres d’un ordinateur sont une forme étonnante de découpage technique, qui provoque un certain type d’émotions), cette approche semble en adéquation avec la manière dont les creepypastas renouvellent notre manière de concevoir l’horreur, et de la consommer. Hitchcock mettait déjà en scène avec Fenêtre sur cour la pulsion voyeuriste inhérente au cinéma. Désormais, elle se transmet dans d’autres médias, qui fabriquent eux aussi, comme avec Momo, de nouveaux mythes qui pénètrent notre intimité, et nos peurs ancestrales. Reste à savoir comment le septième art parviendra à créer des ponts avec cette nouvelle écriture filmique.
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