Etude approfondie du sentiment amoureux, Normal People brille tant par la minutie avec laquelle elle ausculte la relation entre une femme et un homme, au fil des années et des épreuves, que par la façon dont elle représente et questionne le désir.
On apprenait il y a quelques jours le projet de remake pour HBO de Scènes de la vie conjugale, la minisérie de Ingmar Bergman diffusée à la télé suédoise en 1973, par le scénariste israélien Hagai Levi. De la part de celui qui a écrit In Treatment et The Affair, on attend avec impatience un point de vue contemporain sur les beautés et les ravages de l’amour au fil du temps, Scènes de la vie conjugale fonctionnant de manière rétrospective, quand un couple en pleine crise revient sur sa vie commune. Mais avant que cette promesse ne sorte de terre, une autre série toute fraîche vient combler notre envie d’introspection et d’intimité. Normal People raconte elle aussi un amour traversant les années, mais de l’autre côté du spectre : il est question d’une love story naissante, de sa consolidation, des épreuves qui la rendent à la fois irrésistible et peut-être impossible.
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Marianne et Connell se rencontrent au lycée près de Dublin, au moment où leur adolescence entame son crépuscule. Ils vont se percuter violemment. Elle est une gosse de riche harcelée par d’autres élèves qui la détestent ; lui, un fils de femme de ménage qui s’affirme en tant que star académique et sportive. A l’origine se trouve un roman de Sally Rooney, jeune autrice irlandaise qui a supervisé elle-même l’adaptation de son texte. Et cela se voit, car Normal People respecte ce qui fait le sel de l’histoire : un rapport très spécifique au rythme des sentiments. La première qualité des douze épisodes (d’une trentaine de minutes chacun) est à chercher dans leur manière de cumuler surplace et accélérations fulgurantes, ancrage réaliste dans des moments décisifs et ellipses finement ciselées. On peut passer de longues minutes à comprendre et découvrir presque en direct l’attraction sexuelle qui se joue entre elle et lui (épisode 2) avant que des sauts vers l’avant ne viennent donner une profondeur différente à ce qui se joue.
Attraction fatale
Normal People se déploie de manière vertigineuse durant plusieurs années de la vie de ses protagonistes (du lycée à la fac de Trinity College) en respectant le temps de la séparation et du manque quand ils surviennent, en traquant la persistance du désir malgré la distance, les doutes, les innombrables obstacles à ce qui fait la simplicité d’aimer. Marianne et Connell ont beau vivre des expériences différentes, y compris sexuelles et amoureuses, une forme d’attraction fatale les réunit, que la série saisit de façon répétée, tel un métronome amoureux qui viendrait à chaque fois nourrir le réel avec son lot de nouveaux problèmes. Entre eux, ce sera longtemps « ni avec toi, ni sans toi », comme dans La Femme d’à côté de François Truffaut.
Quelques défauts…
La série a quelques défauts, notamment dans ses premiers épisodes (réalisés par Lenny Abrahamson, tandis que les six derniers sont dirigés par Hettie McDonald) ou trop de moments suspendus, clippés, viennent faire avancer artificiellement le récit dans une joliesse éthérée. Or, Normal People est bien plus forte quand elle parle, même avec douceur, de la violence des sentiments. Nous sommes face à l’étude en profondeur de ce qu’une relation hétéro inclut de grand désir et de grande dépendance.
Sublimes scènes de sexe
La beauté de la série tient à la manière qu’elle a d’interroger sans cesse le statut de cette relation. Même si le récit est calé sur le personnage masculin, le désir de Marianne se reflète toujours dans son expérience. Avec Connell, ils baisent énormément et tant mieux : on n’a que très rarement vu des scènes de sexe aussi fortes, égalitaires, charnelles. Une coordinatrice d’intimité a apporté son regard et contrairement aux clichés, son travail n’a pas consisté à effacer les angles morts du sexe mais à donner de la puissance à ces instants qui structurent le récit. Toute l’expérience amoureuse est mise en scène ici. Les silences de Marianne et Connell sont aussi très parlants. Quand les deux sont ensemble sans rien se dire, c’est comme s’il et elle rêvaient de l’autre les yeux ouverts, leurs corps silencieusement aimantés. Ils parlent aussi beaucoup, se laissent la place pour exprimer ce qu’il ou elle veut vraiment, pour saisir ce qui entre eux relève de dominations impensées. Cela rend le personnage masculin largement atypique, d’une sensibilité rarement égalée dans la fiction contemporaine.
L’amour comme remède à la solitude
Certaines voix se sont élevées pour signaler que l’attrait de Marianne pour une sexualité BDSM, clairement liée dans la fiction à un père et un frère violents, donnerait une image fausse des relations de domination. C’est assez juste, mais aussi partiel, tant la série travaille à éclairer ce qui se joue dans nos désirs, leur part libératrice mais aussi leur part déterminée et balbutiante. Surtout, Normal People montre de manière très fluide la terreur de la solitude qui mène chacun.e très loin dans la recherche de contacts et de relations à tout prix. La phrase la plus évidente de la série tombe comme un doux couperet : « I’m never lonely when I’m with you ».
Normal People est disponible sur StarzPLay
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