Une allègre et cruelle comédie en costumes d’une économie de moyens remarquable.
On l’avait un peu perdu de vue, Emmanuel Mouret. Si l’ont érigé dans les années 2000 en disciple de Rohmerou Truffaut ses fables pleines de quiproquos amoureux traversées par un humour maladroit emprunté à Tati et même Keaton (Vénus et Fleur, Changement d’adresse), les films suivants ont déçu. Voire mis mal à l’aise : effet d’une désagréable impression de bégaiement, de répétition et de complaisance pseudo-comique dans ses dernières œuvres (Caprice, L’Art d’aimer…), auquel n’était pas étranger le fait que Mouret lui-même continuait de tenir le rôle vedette du garçon empoté qui fait craquer toutes les filles.
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Mademoiselle de Joncquières marque à ce titre un tournant dans sa filmographie. Mouret y cède la place à deux comédiens (Cécile de France et Edouard Baer) et, un peu comme Woody Allen jadis, trouve une nouvelle fraîcheur en omettant de filmer ses propres mimiques au profit d’un film d’époque, une intrigue en costumes.
Après le temps du marivaudage vient celui de la vengeance
Il s’agit de l’adaptation d’une partie de Jacques le Fataliste de Diderot (qui a déjà inspiré à Bresson Les Dames du Bois de Boulogne), qui raconte les intrigues amoureuses entre une jeune veuve distinguée et son amant libertin. Après le temps du marivaudage vient celui de la vengeance : l’amante meurtrie fera en sorte de punir son bourreau par une disgrâce sociale dont on taira tout ici.
Ce qui frappe dans le dixième long métrage de Mouret, c’est son économie de moyens qui confine à une espèce de pureté du geste, de mise en scène. On assiste à une succession de scènes, des “tableaux” où se meuvent les deux amants livrés à l’art de discourir. C’est toute la force du cinéma que de nous montrer celle des mots : au fond, rien n’arrive dans ce film, et l’action au point mort est prise en charge par une parole performative qui ne nous laisse rien voir (les caresses, les coups bas) et tout imaginer.
A cet exercice, les deux acteurs sont assez géniaux. Car l’improvisation orale est leur métier (Baer), leur complicité, palpable, déliée dans ce plaisir d’un jeu malicieux et théâtral. Entrées, sorties, ellipses, une demeure, un jardin et le tour est joué. Cela relève de la magie. Ou d’une célérité jubilatoire aiguisée par le montage et le flow des comédiens.
Peut-être que Mademoiselle de Joncquières gagnerait à davantage de gravité, façon Laclos, dessinant l’arrière-cour sombre d’une comédie allègre et taquine. Cependant, celle-ci ne manque pas de cruauté – et c’est là que Mouret surprend le plus. Rapport de force, complot, victimes innocentes, le conte moral pourrait se finir sur une note amère. Mais chez Mouret, l’espoir d’un baiser ou d’une autre vie valent toujours heureusement mieux que la respectabilité. Emily Barnett
Mademoiselle de Joncquières d’Emmanuel Mouret, avec Cécile de France, Edouard Baer (Fr., 2018, 1 h 48)
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