Infatigable tête chercheuse de Radiohead, Thom Yorke poursuit son escapade solitaire sur un album obsédant magnifié au dernier festival parisien Days Off.
Paris, 7 juillet. Tout juste trois mois après sa participation au concert des sœurs Labèque lors de la soirée Minimalist Dream House, Thom Yorke est déjà de retour à la Philharmonie de Paris, cette fois dans le cadre du festival Days Off, dont il est l’une des têtes d’affiche avec Kraftwerk, Cat Power et Charlotte Gainsbourg.
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Le leader de Radiohead joue deux soirs de suite sous son propre nom, mais il n’affronte pas la scène tout seul. Le producteur Nigel Godrich, son complice depuis le classique OK Computer (1997), et l’artiste visuel néerlandais Tarik Barri l’assistent dans la pénombre.
Des univers étalés dans le temps
La grande salle Pierre-Boulez de la Philharmonie, tout en courbures apaisantes et volumes impressionnants, plonge le public dans un clair-obscur parfait pour mettre en valeur le spectacle audiovisuel qui s’y déroule. Devant un vaste écran sur lequel sont projetés de somptueux visuels graphiques, élaborés en direct par Tarik Barri, le trio joue une vingtaine de morceaux à tendance électronique : deux extraits de la bande originale du remake de Suspiria (2018), deux titres d’Atoms For Peace (supergroupe dont Thom Yorke et Nigel Godrich font partie) et dix-sept morceaux tirés des trois albums en solitaire de Thom Yorke.
Le dernier, Anima, vient d’être dévoilé en version digitale fin juin, avant de sortir dans les bacs le 19 juillet. Lors du concert, les différents volets de cette carrière solo s’enchaînent harmonieusement, sans rupture nette entre ces univers pourtant étalés dans le temps.
Les fans de Radiohead ne se sentent pas dépaysés, même si aucune composition du groupe d’Oxford ne figure sur la setlist. Deux fils conducteurs : des textures electro (dont Radiohead s’entoure depuis deux décennies) et la voix unique du chanteur, d’une sensibilité bouleversante, d’une justesse inouïe.
A 50 ans, Thom Yorke possède toujours des armes redoutables pour continuer ses expérimentations. En interprétant pendant cette soirée de juillet huit des neuf chansons d’Anima (seul le chaloupé I Am a Very Rude Person passera à la trappe), l’Anglais met l’accent sur son dernier projet en date.
Un étonnant mélange de mélancolie et de grâce
Au lieu de se lancer dans des discours sans fin, sur scène ou en interview, il semble préférer laisser sa musique parler pour lui. Les morceaux d’Anima expriment ainsi une angoisse palpable (autant de tourments existentiels que d’inquiétudes vis-à-vis de l’environnement et du futur en général), traversée d’éphémères moments d’apaisement et de douceur.
Trois titres présents sur Anima constituent la bande-son d’un tout nouveau court métrage du même nom de Paul Thomas Anderson, disponible sur Netflix depuis fin juin. Le rythmé Not the News, le sombre Traffic et le vaporeux Dawn Chorus illuminent ce long clip dans une dystopie aussi proche de George Orwell que de The Handmaid’s Tale.
Les deux rôles principaux sont tenus par Thom Yorke et sa compagne, l’actrice italienne Dajana Roncione. A l’écran, dans un étonnant mélange de mélancolie et de grâce comme lui seul en a le secret, Thom Yorke s’extériorise en dansant, sur des chorégraphies du Franco-Belge Damien Jalet (qui a aussi travaillé sur le remake de Suspiria).
Ce côté physique du corps en action est l’un des éléments frappants des concerts de Thom Yorke. Au fil des années, cet introverti s’est peu à peu métamorphosé en osant laisser s’exprimer l’énergie irrésistible qui bouillonnait au fond de lui.
Des plages d’improvisation étirées et abstraites
Sa gestuelle étrange et spontanée, tour à tour saccadée ou ondoyante, reste un atout essentiel par rapport aux enregistrements. Sous les yeux d’un public conquis, ses mouvements incontrôlés donnent un souffle supplémentaire à tout son répertoire et perfectionnent certains anciens morceaux qui, en studio, donnaient parfois un résultat un peu désincarné.
Loin d’être impénétrable, cette musique crépite, sursaute, se renouvelle et porte ses auditeurs de surprise en surprise. Sur scène comme en studio, saluons au passage le travail du pétillant Nigel Godrich, en charge de “toute la machinerie” comme l’indique Thom Yorke sur la scène de la Philharmonie.
Entre ses doigts d’or, les plages d’improvisation étirées et abstraites que le chanteur a composées sont devenues des compositions plus condensées, plus ajustées. Cette limpidité accompagne Anima de l’introduction de Traffic jusqu’à la conclusion mouvante, Runwayaway. Le titre de ce troisième album solo signifie “âme” en italien : un choix pertinent pour ces chansons qui n’en manquent pas.
Anima (XL Recordings/Wagram)
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