David Simon revient dans les mid-seventies raconter la consolidation de l’industrie du porno dans la saison 2 de The Deuce. Avec un propos féministe séduisant.
David Simon fait partie de la grande histoire des séries depuis The Wire, Generation Kill ou Treme. Il occupe la place singulière et rare de celui qui gratte l’espace social US pour en relever inlassablement la sève pourrie et la beauté, où qu’elles se trouvent. Né à Baltimore, où il habite toujours, le scénariste et ancien journaliste d’investigation vient d’avoir 58 ans. Le temps s’écoule mais l’homme n’a rien perdu de sa hargne. Il s’agite sur Twitter depuis l’élection de Donald Trump avec une violence et un dégoût palpables, sans nuances.
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https://www.youtube.com/watch?v=wlKU8POYQsk
A quelques exceptions près – la cinquième saison de The Wire, certains aspects de Treme –, son travail parvient depuis plus de vingt ans à transformer cette colère en un art aussi goguenard que profond : l’observation des drames humains et de la manière dont les institutions diverses fracassent les rêves. L’essence de la fiction de gauche selon David Simon ? Constater les dégâts avant d’imaginer des chemins de traverse pour ses personnages, des espaces de liberté à conquérir pas à pas.
Des lignes de démarcation sociales et raciales
Créée avec l’écrivain de polars George Pelecanos, son vieux compère, The Deuce est sans doute sa série la plus accessible, ne serait-ce que par son sujet : la prostitution et le monde du porno à New York dans les années 1970, autour de la 42e Rue pas encore nettoyée pour attirer les touristes. Alors que la première saison montrait l’ascension d’une industrie circa 1971, la deuxième saute allègrement dans le temps. Nous voilà quelques années plus tard, en 1977, alors que Derrière la porte verte et Gorge profonde ont depuis longtemps rendu le sexe vendeur à grande échelle. Les filles traînent moins dans la rue, elles travaillent plutôt dans les peep-shows et les clubs discrets, voire, pour certaines, sur les plateaux de tournage où elles acquièrent une vraie notoriété. Des producteurs gavés de dollars concurrencent la Mafia, ou fricotent autour d’elle.
Avec aisance, la série reprend les aventures de ses personnages coincés entre le surplace que leur impose le monde et leur ambition de progrès. Les macs se retrouvent parfois agents de comédiennes X, voire acteurs eux-mêmes, et quelque chose de la dynamique raciale éternelle de l’Amérique se dévoile. Si, chez Simon, la première ligne de démarcation se trace toujours entre ceux et celles qui possèdent l’argent et le pouvoir face à ceux et celles qui en sont écartés, la question noire reste une constante. Ici, elle se joue subtilement dans une affaire de discrimination salariale – une actrice noire est payée la moitié de ce que touche sa consœur blanche pour la même scène… – et dans le conflit entre le flamboyant CC et sa protégée, une actrice blonde en plein essor.
Montrer l’invention progressive d’un “female gaze” dans son caractère politique et esthétique, voilà ce que cherche David Simon
Si la partie la moins intéressante de la série concerne le double personnage (deux frères jumeaux) joué par James Franco – que HBO a jugé bon de conserver après les accusations de harcèlement sexuel le concernant –, The Deuce se révèle passionnante quand elle approche du personnage de Candy (Maggie Gyllenhaal). Au début de la série, nous faisions la connaissance de cette trentenaire un peu fatiguée, qui se prostituait dans la rue sans souteneur, pour élever son fils. Elle voulait devenir réalisatrice de porno. Elle l’est devenue et met en avant la qualité de son regard. Dans un épisode marquant, elle affine le montage d’une scène pour fixer le point de vue sur le personnage féminin en train de jouir. Ce à quoi on lui rétorque que cela ne fait pas vendre.
Montrer l’invention progressive d’un “female gaze” (regard féminin) dans son caractère politique et esthétique, voilà ce que cherche David Simon, dont on sent qu’il a pris pour lui la vague Time’s Up – il a d’ailleurs fait réaliser cette saison en grande majorité par des femmes. Candy est un personnage étonnant, parfois ambigu, notamment dans son besoin de validation par un homme ; mais The Deuce en fait une héroïne à la fois puissante et attaquée de toutes parts – on se souvient longtemps de son voyage finalement glaçant à Los Angeles. Notre désir ? La regarder pendant des années. Notre regret ? Que la série ne puisse pas dépasser neuf épisodes par saison, alors que douze ou treize lui donneraient une ampleur inoubliable.
The Deuce saison 2 A partir du 10 septembre sur OCS Go
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