Face-à-face inédit entre un véritable robot et une humanité déclinante. Un film de SF domestique à la beauté foudroyante.
Si le titre français du premier film de Kôji Fukada découvert en France, Au revoir l’été (2013), amorçait un lent désengagement du monde sous la forme d’un été rohmérien arrivant doucement à son terme, c’est dans ce quatrième long métrage au titre explicite, que le réalisateur de 37 ans nous plonge dans un monde vide, livré à lui-même. Ce monde “post-adieux” autant que postapocalyptique part d’une catastrophe à double échelle, intime et globale.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Un climat postapocalyptique cloîtré
Alors que Tania, une Anglaise atteinte d’une grave maladie, vit recluse dans la campagne japonaise en compagnie de Leona, une humanoïde robotique qui l’aide dans les tâches quotidiennes, un attentat touche de nombreuses centrales nucléaires d’un pays devenant de fait inhabitable. Par vagues de migrations partant des strates les plus privilégiées de la société, le Japon se vide, laissant Tania et Leona seules.
Après avoir convoqué les images télévisuelles des spectaculaires attentats – images avec lesquelles notre œil est désormais familiarisé – et avoir rapidement représenté l’exode massif, Fukada se concentre sur la représentation intime de la catastrophe. Un climat postapocalyptique cloîtré, réduit à l’échelle de l’intimité d’un intérieur et d’un corps, celui de Tania, dont l’inévitable déliquescence est mise en exergue par l’immutabilité de l’enveloppe robotique de Leona.
La fin d’un monde et le déclin d’une existence
Car la grande originalité de ce film de SF domestique est d’avoir employé un véritable robot. La pièce du dramaturge nippon Oriza Hirata dont Sayônara est l’adaptation cinématographique, utilisait déjà cette confrontation inédite entre un acteur et un robot humanoïde.
Se nourrissant de la théorie de “la vallée de l’étrange” selon laquelle plus un robot se rapproche des traits humains, plus sa monstruosité est perceptible, Sayônara raconte la fin d’un monde et le déclin d’une existence dans une esthétique solaire faite de teintes ocres et de la poésie contemplative empruntées au cinéma de Tarkovski. Car plus qu’à Fukushima, c’est à Tchernobyl que ce Japon contemporain fait écho.
L’imaginaire de la catastrophe
Ce lent et duveteux passage de la lumière à l’ombre est matérialisé dans une scène matricielle à la beauté foudroyante où, telle une nature morte capturée en time-lapse, le corps de Tania se momifie imperceptiblement. Dernier vestige d’une humanité disparue, le robot hante alors un paysage primitif, une nature édénique retrouvée.
Sayônara est la parfaite et sublime illustration de l’imaginaire de la catastrophe dont l’essayiste Annie Le Brun a brossé le tableau dans Perspective dépravée (2011) : “En précipitant l’homme en dehors de ses mesures et de ses représentations du monde jusqu’à le réduire à n’être que l’élément insignifiant d’un phénomène dont les lois lui échappent, la notion de catastrophe implique alors un renversement du rapport de l’humain à l’inhumain. Du coup, elle devient une inestimable manière de mesurer la démesure qui nous fonde. Mais aussi de nous souvenir de notre étrangeté à nous-mêmes.”
Sayônara de Kôji Fukada (Jap., 2015, 1 h 52)
{"type":"Banniere-Basse"}