Le quotidien de deux colons sur les rives du Congo. Adaptée de Joseph Conrad, une fable poétique inspirée.
Il y a toujours un élément d’envoûtement dans le cinéma portugais, qui tient peut-être à la musicalité de la langue, à l’humilité de ce petit pays hanté par sa “grandeur” enfuie d’ex-empire colonial, et sans doute plus sûrement à l’inspiration singulière de ses cinéastes. La preuve encore avec cet Un avant-poste du progrès, titre ô combien ironique, adaptation d’une nouvelle de Joseph Conrad par Hugo Vieira da Silva.
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Soit le quotidien de deux colons tenant un comptoir dans la jungle sur les rives du fleuve Congo. Leur mission : exporter l’ivoire et éventuellement “civiliser” les populations locales. Mais la réalité africaine ne s’en laisse pas conter : les indigènes et leurs us, les bandes de trafiquants, le climat extrême, les maladies tropicales, les surdoses de quinine, tout entrave le projet originel…
Un voyage sensoriel, physique et mental
Au fur et à mesure que le temps passe, la mission civilisatrice et commerciale se transforme en dérive hallucinée, en trip de perdition. Un voyage sensoriel, physique et mental au cours duquel s’opèrent d’autres genres de transactions surprenantes, comme ces échanges contagieux entre les colons qui tentent de se fondre dans la transe musicale africaine et les indigènes qui essaient d’imiter le mode de vie européen.
Bien que non exempte de lecture politique (inévitable vu le sujet), la vision de Vieira da Silva est essentiellement poétique, métaphysique et moraliste. Superbement écrit (la langue portugaise, décidément), merveilleusement minimaliste et trippant, à la fois désuet et moderne, Un avant-poste du progrès évoque un mix du Oliveira de Parole et utopie et du Miguel Gomes de Tabou revu par le Gainsbourg cinéaste d’Equateur.
L’Afrique et ses sortilèges
Plutôt que la dénonciation attendue (et peu intéressante – cinquante ans après, quel spectateur d’un tel film approuverait la colonisation ?), Vieira da Silva montre le fait colonial sous le jour d’une aventure vénéneuse où le contact entre colons et indigènes ne produisait pas uniquement de l’oppression mais aussi un échange, aussi étrange fût-il.
Ici, l’Afrique et ses sortilèges agissent comme une drogue puissante qui finit par dévorer lentement ses envahisseurs. Le film n’est pas éloigné du récent Lost City of Z, mais en regard du style hollywoodien vaguement empesé et poussiéreux de James Gray, Vieira da Silva propose une élégance littéraire et un dépouillement ironique autrement plus stimulants et singuliers.
Un avant-poste du progrès d’Hugo Vieira da Silva (Port., 2016, 2 h 01)
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