Chaque jeudi, “Les Inrocks” vous proposent de découvrir un groupe ou un artiste que vous ne connaissez pas (encore). Cette semaine, Couloir Gang, dernier projet en date de deux activistes au long cours de la scène expérimentale, oscillant entre hip-hop patraque, post-punk oblique et électro fantomatique.
Si Couloir Gang est encore un jeune groupe, ses deux membres – Ravi Shardja (Xavier Roux, à l’état civil) et Jean-Marcel Busson – ne sont pas exactement des novices. Venus à la musique durant leurs années de lycée, en tâtant de divers instruments, tous deux gravitent dans la sphère underground/expérimentale depuis la fin des années 1980. Plusieurs projets les ont déjà réunis, en particulier le quatuor Goloka, créé en 1988 avec Samon Takahashi et Frédéric Rebotier. Rebaptisé GOL au milieu des années 2000, ce groupe résolument hors normes – quelque part entre musique concrète, free-rock et Dada – a frayé notamment avec Charlemagne Palestine, Ghédalia Tazartés et Charles Hayward (ex-This Heat) durant cette seconde (intense) période d’activité, marquée par la parution d’une douzaine d’albums entre 2007 et 2014.
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En parallèle de leurs projets communs, les deux acolytes développent chacun de son côté un univers musical personnel. Ravi Shardja a notamment enregistré plusieurs albums solo, sortis sur son label (Suara Papua) ou sur Grautag Records, le label créé par le plasticien Nicolas Moulin. En outre, sous son vrai nom (Xavier Roux), il compose des musiques de documentaires ou de films d’animation. Quant à Jean-Marcel Busson, adepte invétéré du do-it-yourself, il s’est livré à des expérimentations en tout genre, concevant des installations sonores, fabriquant et triturant des petits circuits ou réalisant des concerts-performances sous tension.
De la musique directe pour danser
Suite à une démobilisation des autres membres de GOL, Ravi Shardja et Jean-Marcel Busson ont ressenti le besoin de se lancer dans une nouvelle aventure. Ainsi, à partir de 2014, ont-ils impulsé Couloir Gang, projet basé sur le binôme basse-boîte à rythmes avec le désir de faire une musique plus accessible. « Nous voulions sortir du champ expérimental-free-noise et nous défaire des habitudes prises avec GOL ou d’autres projets pour construire des morceaux simples et spontanés : de la musique directe sur laquelle on pourrait danser », explique Ravi Shardja.
Le duo effectue de premières sessions-tests à Bruxelles, où vit alors Jean-Marcel Busson. « Nous avons enregistré des petits morceaux sur 4-pistes, en prise directe, raconte ce dernier. Nous avons essayé plein de choses avec le matériel minimal à disposition. Nous étions plus dans une recherche de l’expérience instantanée. » Tandis qu’ils cherchent un nom à ce groupe en devenir, les deux hommes, lors d’une balade à travers Bruxelles, passent par la rue Couloir – Gang straat, en flamand – dont le nom leur saute aux yeux comme une évidence : Couloir Gang est né.
En 2016 paraissent deux cassettes (Wild and Peaceful et Celebration) chez Suara Papua, suivies en 2017 par un premier album, Zuur Kool, toujours chez Suara Papua. Contenant onze morceaux courts (autour de trois minutes) et turbulents, dont le furieusement sarcastique Dead Balkany, l’album, largement basé sur des impros, part un peu dans tous les sens sans forcément atteindre l’immédiateté recherchée. Globalement, il donne le sentiment que Couloir Gang cherche encore sa voie. Son identité paraît nettement s’affirmer sur son nouvel album, Kasteel Bordeel, qui vient de sortir chez Dokidoki, label indépendant parisien au catalogue duquel figure notamment Arne Vinzon.
Ouverture à l’inattendu
Jean-Marcel Busson réside maintenant dans le Morvan tandis que Ravi Shardja vit en région parisienne. Échangeant fichiers et idées via internet, ils se retrouvent à intervalles réguliers pour des sessions live, la plupart du temps dans la GOL Farm, un studio aménagé dans le Morvan. Réalisé en 2018, Kasteel Bordeel a été enregistré en concédant une place nettement moins importante à l’improvisation par rapport à Zuur Kool. L’ouverture à l’inattendu, à l’accidentel reste toutefois une caractéristique cruciale de la musique du duo.
« La musique nous amène rarement là où on croit la mener, observe Jean-Marcel Busson. Les possibilités sont si nombreuses, nous nous laissons surprendre, ça dérive plus ou moins, selon notre plaisir et notre consentement. En concert, il y a toujours des surprises même si nous jouons les mêmes morceaux. D’un set à l’autre, il peut y avoir des différences considérables. »
S’ils sont plus longs (environ six minutes), les six morceaux de ce nouvel album s’avèrent aussi plus construits, plus denses et plus percutants. Au socle basse-boîte à rythmes s’ajoutent ici ou là des instruments variés (guitare, synthé, flûte traversière, violon, trompette, harmonica…) ainsi que des parties vocales (en plusieurs langues), parfois trafiquées voire disloquées. Impossible à classer dans une catégorie bien définie, l’ensemble flotte entre hip-hop patraque, post-punk oblique et électro fantomatique. De ce discorridor de la (petite) mort se détache en particulier Mutazione Zombi, parfait hymne horrifique pour nuit d’enfer dans les catacombes.
Et à l’avenir, que nous réservent-ils ? « Nous aimerions poursuivre notre aventure musicale, faire de meilleurs disques et concerts, répond Ravi Shardja. Nous cherchons à découvrir des zones inconnues de la création et à les partager avec le plus grand nombre. »
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