Un des inventeurs de la bossa nova dans les années 1950 est mort le 6 juillet à 88 ans, léguant une quantité impressionnante de standards indémodables.
Personnage énigmatique, taciturne, secret, imprévisible, obsessionnel, qui vivait reclus dans son appartement de Rio, João Gilberto avait tout pour devenir un mythe. Mais s’il n’avait pas littéralement inventé la bossa nova, un jour de juillet 1958, la mythologie n’aurait sans doute jamais opéré. C’est par un 45 tours que João Gilberto est entré dans l’histoire. Sa face A, Chega de saudade (en français “fini la tristesse” !), est une composition signée Antônio Carlos (Tom pour les Brésiliens) Jobim pour la musique et Vinícius de Moraes pour les paroles, et qui s’apprêtait à connaître une postérité incalculable.
La pureté du chant presque chuchoté, en rupture totale avec les standards de l’époque, le jeu de guitare essentiellement rythmique et surtout le léger décalage, tellement personnel, que João introduit entre l’instrument et la voix sont les signes distinctifs d’un style minimaliste mais inimitable qui ouvre une voie royale à la musique populaire brésilienne (Caetano Veloso, Gilberto Gil ou Chico Buarque en tête…), mais également à tout un courant de la pop internationale (de Burt Bacharach à Everything But The Girl, en passant par Jon Lucien, Françoise Hardy ou Philippe Katerine…).
La fraîcheur instinctive de “Corcovado” ou de “Desafinado” demeure intacte
Bahianais d’origine, João Gilberto était parti chercher fortune au début des années 1950 à Rio. Comme beaucoup de musiciens de sa génération, il avait couru le cachet dans tous les cabarets de Copacabana, sans grand succès. Mais c’est évidemment sa rencontre avec Jobim, le grand compositeur de la bossa-nova, qui allait le propulser vers la lumière du grand art et de la célébrité.
A eux deux, João et Tom, ils allaient forger une musique qui ébahirait le monde entier. Surtout les Etats-Unis, le pays où la bossa-nova se mélangerait au jazz pour créer une musique au sang mêlé, dont le prophète inspiré serait Stan Getz.
Tout le monde connaît l’album Getz/Gilberto enregistré en 1963 et paru l’année suivante. C’est un classique qu’on pourrait croire épuisé tellement il a tourné sur les platines. Et pourtant, encore aujourd’hui, la fraîcheur instinctive de Corcovado ou de Desafinado demeure intacte.
Tout comme d’ailleurs celle de la plupart des albums estampillés bossa de João Gilberto – une dizaine, pas plus, qui s’égrènent de 1959 à 2000 –, remettant inlassablement sur le métier les mêmes motifs, le même répertoire – en gros, les standards de Jobim, quelques vieilles sambas (écoutez sa version sublime de Falsa Baiana !) et, de temps à autre, quelques chansons venues d’ailleurs comme, par exemple, Que reste-t-il de nos amours ? de Charles Trenet – sans que l’auditeur n’éprouve jamais la moindre lassitude.
Aucune analyse, aussi technique soit-elle, ne réussira jamais à percer le secret de cette musique. Car la bossa-nova selon João Gilberto, c’est de la magie, de la sorcellerie, de la poésie pure. Son chant, surtout, est une incantation épurée, très intime, qui flirte délicieusement avec la fausseté.
Et sa manière de susurrer les mots comme s’il se parlait à lui-même relève du pur envoûtement. Le plus extraordinaire c’est que, dans dix ans, dans cent ans, sa musique d’extraterrestre génial aura toujours le même charme.