Emprisonné, comme tant d’autres innocents, dans la vague de répression qui suivit le coup d’Etat raté de l’été 2016 en Turquie, l’écrivain et journaliste Ahmet Altan peut avoir de nouveau espoir : la Cour Suprême turque vient de casser sa condamnation à perpétuité.
A 5 heure 42 du matin, en ce matin de septembre 2016, on a sonné à sa porte. Il s’y attendait. « Comme tous les opposants de ce pays, écrit Ahmet Altan dans son prochain roman, Je ne reverrai plus le monde, à paraître chez Actes Sud le 4 septembre, chaque soir je m’endormais imaginant qu’à l’aube, on frapperait à ma porte. Je savais qu’ils viendraient. Ils sont venus. J’avais même préparé des habits spécialement pour mon arrestation et les jours qui suivraient. » Le célèbre écrivain et journaliste turc a donc enfilé sa « tenue d’arrestation » (comprenant notamment « un pantalon noir, en lin, serré à la taille par un lacet inté́rieur, de façon à pouvoir me passer de ceinture »). Et il les a suivis, direction la prison de Silivri, en banlieue d’Istanbul.
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“La prison à vie a été requise contre nous”
Accusé d’avoir participé au putsch manqué du 15 juillet 2016 alors qu’il ne fait que dénoncer, depuis des décennies, les atteintes du pouvoir turc à la démocratie, Ahmet Altan y est incarcéré depuis septembre 2016. Le 16 février 2018, il a été reconnu coupable, ainsi que cinq autres personnes dont son frère, le journaliste Mehmet Altan, d’avoir tenté de « renverser l’ordre prévu par la Constitution de la République de Turquie – ou de le remplacer par un autre ordre ou d’avoir entravé son fonctionnement pratique au moyen de la force et de la violence ». Condamné à perpétuité aggravée par le 26ème tribunal pénal d’Istanbul, en septembre 2016. Une décision absurde, effrayante, mais presque banale dans le contexte de répression liberticide qui caractérise le régime du président Recep Tayyip Erdogan depuis quelques années.
Accusée des mêmes crimes, l’écrivaine Asli Erdogan, qui vit désormais en exil en Europe, écrivait le 19 février 2018 à son sujet : « Après le coup d’État manqué, nous sommes les deux premiers écrivains à avoir été arrêtés sur des chefs d’accusation kafkaïens. La prison à vie a été requise contre nous et nous avons cru d’abord que c’était une blague, qu’ils nous libéreraient après avoir eu la satisfaction de nous avoir maltraités. Ils m’ont relâchée, mais lui, ils l’ont condamné à perpétuité. Sans preuve, sans faits avérés, c’est purement atroce ! » De fait, l’une des « preuves » retenues contre Altan lors de son procès est sa participation à une émission de télévision dans laquelle il déclarait que le président Erdogan ne resterait pas plus de deux ans au pouvoir. Un « message subliminal » par lequel il aurait, à en croire le procureur, appelé à renverser le pouvoir en place… et trahi son appartenance à FETÖ, la confrérie religieuse accusée d’avoir fomenté le coup d’Etat manqué.
Un livre bouleversant
Fils d’une figure majeure du parti communiste turc lui-même condamné à la prison à vie, Amhet Altan a commencé sa carrière de journaliste en 1974. Mais c’est comme romancier qu’il s’est d’abord fait connaître, un premier livre vendu à 20.000 exemplaires, un deuxième condamné pour atteinte aux bonnes mœurs, qui fit l’objet d’un autodafé (toute son œuvre est publiée par Actes Sud). Rédacteur en chef du journal Milliyet, l’un des plus importants du pays, il est licencié en 1995, sous la pression de l’état-major, pour avoir dénoncé la guerre menée par l’armée turque dans la région kurde. Condamné à 20 mois de prison avec sursis pour un article satirique, il est accusé de soutenir la création d’un Kurdistan indépendant. Accusation répétée lorsqu’il rédige, en 1999, une déclaration pour les droits de l’homme, des droits culturels des Kurdes et de la démocratie en Turquie, avec deux autres grands écrivains turcs, Orhan Pamuk et Yachar Kemal. En 2008, c’est un article dédié aux victimes du Génocide arménien qui le fait inculper, pour « insulte à la Nation turque ».
Il était donc prêt, quand ils sont venus le chercher en ce matin de septembre 2016, comme il l’écrit au début de Je ne reverrai plus le monde. Ce livre bouleversant, journal de bord d’un condamné à mourir derrière les barreaux, fait penser à Primo Levi pour sa lucidité, son style sans pathos, et au philosophe allemand Günther Anders pour cette énergie du désespoir qu’il trouve, paradoxalement, dans l’expérience de l’invivable. (On y reviendra dans notre numéro de la rentrée littéraire). Déjà traduit en de nombreuses langues, le texte ne sortira pas en Turquie. Quant à son auteur, son sort est désormais entre les mains de la 26ème Haute Cour Pénale d’Istanbul. Car si la Cour Suprême turque cassait, ce 5 juillet, sa condamnation à perpétuité faute de preuve, elle rejetait sa demande de remise en liberté, ainsi que celle de Nazli Ilicak, tandis que son frère Mehmet Altan était relaxé. Les deux journalistes sont toujours accusés « d’aide à un groupe terroriste sans être membre ». On ne sait donc toujours pas quand, et même si, ils sortiront un jour de prison.
Ahmet Altan, Je ne reverrai plus le monde, traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes, à paraître chez Actes Sud le 4 septembre,
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