En 2019, Mediapart avait révélé que le journal amiénois “Fakir”, dirigé par François Ruffin, avait été infiltré par un service de renseignements privé lié à LVMH. Une opération supervisée par l’ex-maître espion Bernard Squarcini. Ce 12 juillet, le site d’informations révèle des échanges téléphoniques qui prouvent que la direction de LVMH a demandé au “Squale” d’infiltrer la bande de “joyeux drilles” de “Fakir”.
Amateurs·trices de romans et de films d’espionnage, accrochez-vous. Mediapart a mis en ligne ce 12 juillet des enregistrements téléphoniques (qui mis bout à bout durent 25 minutes environ), que même l’auteur·rice le·a plus machiavélique n’aurait pas pu imaginer. Il s’agit de conversations téléphoniques entre la direction du groupe de luxe LVMH, dirigé par Bernard Arnault et l’ancien maître espion de Nicolas Sarkozy, Bernard Squarcini (dit “le Squale”), concernant une action de perturbation de l’AG des actionnaires de LVMH par un groupe coalisé autour du journal Fakir et de son rédacteur en chef François Ruffin (qui travaillait sur le tournage de Merci Patron), en 2013. Pour rappel, la justice a élargi en octobre 2019 son enquête ouverte notamment pour trafic d’influence visant l’ex-patron du renseignement Bernard Squarcini à des faits de “vol”, après une plainte de François Ruffin et du journal Fakir.
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Episode 1. Fakir et Ruffin: opération infiltration.
Mediapart est en mesure d'apporter la preuve que la présidence de LVMH a directement demandé à pouvoir «infiltrer» le journal du futur député pour mieux l’espionner en temps réel.
Bonne écoute… https://t.co/U3uC9KCgAM
— Fabrice Arfi (@fabricearfi) July 12, 2020
“Ce qui peut être intéressant aussi, puisqu’ils font du racolage, c’est de les infiltrer non ?”
En clair, Mediapart prouve par ces enregistrements (qui reposent sur des écoutes judiciaires, opérées en mars et avril 2013 sur Bernard Squarcini) que la direction de LVMH a demandé à une entreprise de renseignement privée d’“infiltrer” Fakir, pour se prémunir contre ses actions. Dans l’objectif de mener à bien cette mission, Bernard Squarcini, qui la supervisait, a contacté ses anciens collègues des Renseignements généraux de Paris, ainsi que la police, pour mettre des bâtons dans les roues de François Ruffin.
Début mars 2013, la direction de LVMH découvre qu’un groupe de militant·es regroupé·es autour du journal amiénois Fakir compte perturber l’AG des actionnaires de LVMH, en achetant des actions au prix unitaire de 35 euros. Pierre Godé, vice-président de LVMH, demande alors à Bernard Squarcini de documenter au plus près les préparatifs de cette action d’agit-prop, afin de la prévenir au mieux. “Ce qui peut être intéressant aussi, puisqu’ils font du racolage, c’est de les infiltrer non ?”, lance ainsi Pierre Godé sur ces enregistrements. “Oui, oui, c’est ce que je vais regarder avec les gens concernés. Mais enfin, on est chez les babas cool, situationnistes et tout. Mais après, ça attire du monde sur Paris”, rebondit Bernard Squarcini.
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“On est chez des situationnistes, trotskistes, enfin tous les gens qui nous emmerdent”
Et l’ex-maître espion de contacter la Direction centrale des renseignements intérieurs, pour leur signaler la “méthodologie assez clandestine” de François Ruffin et son équipe. Au fur et à mesure que la date de l’AG approche, les inquiétudes de Bernard Arnault et de Pierre Godé se renforcent. D’autant plus qu’un groupe de “fakiriens” (de “drôles d’énergumènes”, dixit Pierre Godé) vêtus de t-shirt “I love Bernard” ont tenté de se rendre dans les bureaux de LVMH à Bruxelles. Commentaire de Bernard Squarcini : “On est chez des situationnistes, trotskistes, enfin tous les gens qui nous emmerdent”.
Le 13 mars, un mois avant l’AG, Squarcini annonce ainsi fièrement : “J’ai trouvé la boîte qui a infiltré l’organisation, je suis en train de négocier tout ça, on va faire un service personnalisé pour suivre les gens qui seront à l’extérieur, et marquer les gens qui sont à l’intérieur”. Plus tard, il confirme, en plastronnant : “On a infiltré. On affine la liste, avec les domiciles, adresses et on va re-recroiser pour essayer d’en sortir un meilleur trombinoscope”.
Cette enquête de Fabrice Arfi, avec Pascale Pascariello (audio) et Armel Baudet (vidéo) de Mediapart, permet de formaliser de manière audio cette incroyable affaire.
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