Alors que son deuxième album, « Qualm », surchauffe toujours nos casques, la dj hambourgeoise Helena Hauff, ex-résidente du mythique club Golden Pudel, nous raconte sa genèse, son amour de la « musique agressive », de Technotronic, et de Nirvana.
Tu décris toi-même ton nouvel album, Qualm, comme « unapologetically raw » (« qui ne s’excuse pas d’être brut »), tu peux nous en dire plus ?
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Helena Hauff – L’idée était de faire quelque chose de très fort avec peu de machines. Je ne voulais pas accumuler les couches, quelque chose de trop compliqué. Je voulais quelque chose de simple, de très brut.
Tu donnes toujours cette impression de ne faire aucune concession…
En dj-set, je ne passe que des morceaux que j’aime énormément. Je ne passerais jamais une track juste pour coller à la soirée. Je peux passer des choses au ralenti ou en accéléré pour m’adapter aux autres djs, mais c’est tout. D’une certaine façon, oui, je sais ce que je veux faire, comment je veux sonner.
Pourquoi avoir monté ton propre label, Return To Disorder ?
Pour donner aux gens que je connais une plateforme sur laquelle sortir des trucs. Je ne sors que ce que j’aime vraiment, ce que je trouve bon. A la fois, pourquoi est-ce que je sortirais des trucs que je n’aime pas hein ?! (rires)
Ce n’est pas trop dur financièrement ?
C’est difficile de gérer un label en ce moment. J’ai de la chance parce que je travaille avec Juno, au Royaume-Uni. J’ai un deal avec eux. Ils mettent l’agent pour moi. Si je vends assez, je peux peut-être avoir un peu d’argent en retour. Mais la plupart du temps, non. Il y a tellement de labels là-dehors et tellement peu de gens qui achètent des albums …
Ça te rend triste ?
Au bout du compte, il s’agit juste d’apprécier la musique. Ça importe peu finalement de savoir si vous écoutez un album sur disque ou sur internet. Pour certains, c’est important d’avoir l’album en vinyle parce qu’ils ont besoin de prendre le temps de mettre le vinyle sur la platine, de l’écouter, de ne pas passer de morceaux en morceaux, ce que font la plupart des gens qui streament en ligne. Peu de gens prennent le temps de streamer tout un album de bout en bout. Du coup, ils ratent pleins de trucs très beaux. Mais je ne suis pas triste non, car les gens ont la possibilité d’écouter de super trucs sans avoir à débourser beaucoup d’argent pour se les procurer. Tout est là-dehors. Il y a du positif et du négatif. Ce qui n’est pas bon c’est le fait que les gens n’écoutent que du mainstream. Chez un disquaire, il y a souvent une vraie sélection, le disquaire passe du temps à choisir ce qu’il va vendre, peut conseiller ses clients, leur faire découvrir des choses. Chez un disquaire, tu peux te retrouver un peu coincé dans un genre mais tu échappes au mainstream. Tandis que quand on streame, on se retrouve souvent dans une boucle de suggestions. J’ai déjà fait le test sur Youtube en autoplay. Si tu écoutes un truc pas connu, en l’espace de cinq vidéos tu te retrouves automatiquement sur une major ou une énorme sortie de plus d’un million de vues.
—->>>>>>> A (relire): Notre interview sexe avec Helena Hauff, « J’adore le mot fuck !«
Pour revenir à ton album, comment l’as-tu travaillé ? Tu avais l’idée de l’album en tête au préalable ?
J’ai juste réalisé que j’avais pleins de morceaux qui allaient bien ensemble et que je devais peut-être approfondir. J’ai pris contact avec Ninja Tune qui m’ont demandé si j’avais un label, j’ai dit que non. Ils m’ont donc proposé de sortir l’album. Pour le précédent (Discreet Desires) j’avais une vision en tête, je voulais pleins de synthés et de mélodies. Quand j’ai eu fini, je me suis rendue compte que je voulais revenir à quelque chose de plus épuré et simple. J’en avais marre des mélodies. Quand je suis en studio, j’improvise et je vois ce qu’il se passe, je joue avec les machines sans but précis. Parfois je me dis « Ok, j’aimerais bien faire un truc comme ça », mais en l’espace de cinq minutes je fais quelque chose de complètement différent. Ce sont juste des points de départ afin d’avoir un truc en tête sur lequel m’appuyer pour trouver l’élan nécessaire pour me libérer l’esprit et suivre mon instinct. Je n’ai jamais un but précis sur ce que je m’apprête à faire. Je laisse les choses venir.
Qualm est plus agressif que son prédécesseur, ça reflète ta personnalité ?
Je ne suis personnellement pas plus en colère. J’aime juste beaucoup la musique agressive. Elle est porteuse d’envie. En club, je recherche toujours les trucs les plus difficiles. C’est paradoxalement plus facile pour moi de danser dessus.
Tu samples d’autres morceaux ?
Jamais ! Il peut m’arriver de sampler des sons à l’aide de mon MPC comme un hi-hat ou une ligne de basse mais je ne samplerai jamais une mélodie entière ou une séquence rythmique. C’est drôle parce que mes premiers tracks étaient faits à l’ordinateur à l’aide de vingtaines de samples de morceaux différents. Peut-être parce que je n’avais pas d’instruments. Dès que j’ai acheté des machines et des synthés, j’ai arrêté et j’ai fait autre chose.
Ce sont deux écoles très différentes ?
Oui totalement.
J’ai lu que tu t’en fichais des pochettes d’albums. C’est drôle car les tiennes sont plutôt soignées je trouve…
C’est plus ou moins vrai. En tant que dj, lorsque je joue, je retire les albums de leurs pochettes d’origine et les met dans des pochettes plastiques, tout simplement pour pouvoir mettre davantage de vinyles dans mon sac. Quand je fais dj, je n’ai pas besoin d’admirer les belles pochettes ! Donc d’un point de vue de dj, oui, je m’en fous. Mais je sais apprécier une belle pochette.
Pourquoi continues-tu à jouer des vinyles à l’heure des clés USB et des ordis ?
C’est une bonne question. J’ai commencé comme ça, et pour moi ça n’avait pas tant à voir avec la musique qu’avec les platines. Je suis devenue obsédée par les vinyles, les techniques, les platines. J’adore poser le diamant sur le vinyle. Je ne suis pas seulement dj, je suis « dj-vinyle », ce ne sont pas deux choses séparées. C’est parfois un combat les platines, parce qu’il y a plein de problèmes techniques et donc je me demande souvent pourquoi je le fais encore. Mais quand ça marche, je sais pourquoi je ne joue pas de cds ! Ça n’a donc pas grand-chose à voir pour moi avec la qualité sonore. La plupart du temps, vous ne pouvez pas faire la différence. Les cds peuvent même avoir un meilleur son que les vinyles qui impliquent plus de problèmes techniques. Je ne dirais jamais que quelqu’un qui joue des cds n’est pas dj.
Le public ne sait souvent pas bien faire la différence entre un live et un dj-set en matière de musiques électroniques… ça t’ennuie ?
Non, je crois que ça arrive surtout quand les artistes jouent avec un ordinateur. On ne peut pas, en tant que consommateur de musique, différencier un dj-set d’un live avec un ordi… Beaucoup vont mixer des choses très différentes avec un ordi, des morceaux qui sont les leurs avec des titres d’autres artistes. Ça devient un mélange de live et de dj-set. Avec moi c’est évident que c’est un dj-set puisque je ne mixe qu’avec des vinyles ! Les gens qui viennent me voir en me disant d’un air déçu « Oh je t’ai vu cinq fois et je me suis aperçue que cette fois-ci tu jouais seulement des vinyles… « , je réponds genre « hmmm tu m’as vue cinq fois et tu n’as jamais réalisé que je jouais des vinyles à chaque fois ?! Marrant ! » (Rires). Mais en vrai je m’en fous.
Tu ne joues donc jamais tes albums ?
Je ne joue jamais en live. J’avais un projet live à un moment avec un ami, en 2013. ça a duré quatre ans mais maintenant je suis occupée avec ma musique.
Il y a une raison ?
Ouais, j’adore tellement être dj que je m’en fiche un peu de jouer live. Et puis, ça serait trop compliqué de recréer en live la façon dont je crée en studio. Je devrais avoir toutes mes machines avec moi et je ne peux pas travailler avec autant de trucs. Je devrais donc avoir un ordinateur ou des machines différentes… Ce n’est pas mon truc. Quand j’avais ce projet live, j’appréciais mais je me rendais aussi compte que c’était cool de le faire deux-trois fois par an mais que je ne me voyais pas le faire tout le temps, transporter les machines, les casser, qu’elles n’arrivent pas, etc. Je suis donc juste DJ !
Tu passes ton temps à jouer de nuit, comment tu tiens le coup ?
Je me couche toujours très tard, même chez moi, je reste debout jusqu’à 3h au moins, ensuite je dors jusqu’en début d’après-midi. De cette façon, mon corps s’habitue. Le seul trucs c’est de bien dormir entre deux dates. Si j’ai un vol très tôt, c’est horrible… Le week-end dernier, je jouais à Vienne jusqu’à 6h du matin. Je devais ensuite aller à l’aéroport attraper un vol pour Tbilissi en Géorgie. Là-bas j’avais quelques heures à l’hôtel mais je n’ai jamais pu dormir. Je suis donc allée jouer jusqu’à 6h encore sans dormir. Puis retourner directement à l’aéroport prendre un vol pour Hambourg… là, c’est trop. Je ne peux pas le faire ! Je fais donc toujours attention à avoir du sommeil entre deux vols, sinon je n’accepte pas la date.
Je crois que ta grand-mère t’a offert un jour Pump Ump The Jam de Technotronic…
Oui ! C’est drôle ! Ma grand-mère adorait aller au marché aux puces. Tous les samedi ou dimanche, elle y allait et achetait pleins de trucs. Un jour elle a trouvé ce cd, elle ne savait pas ce que c’était mais elle me l’a acheté. C’était donc Technotronic. C’est surement la première fois que j’ai été exposée à de la musique électronique. Je me souviens de le mettre et de danser dessus et de me dire « Ouais, ça, c’est vraiment cool ! »
Tu écoutais quoi au lycée ?
Du rock. J’adorais Nirvana, Queens of The Stone Age, du stoner. Puis je me suis tournée vers l’électro. Je me souviens d’écouter Life on MTV de The Hacker et Miss Kittin, et de me dire que c’était super ! J’écoutais tout ce que je trouvais que j’aimais, peu importe s’il s’agissait de rock ou d’electro. A 19 ans, j’ai acheté le cd de Radioactive man chez un disquaire. Je ne savais pas ce c’était. C’était le premier album et il y avait ce morceau qui s’appelait Uranium que j’ai adoré. C’est là que j’ai réalisé que c’était ce que je voulais faire. J’ai écouté le cd genre cent fois. C’est l’album que j’ai le plus écouté au monde !
Comment tu décrirais les sensations que te procures les morceaux que tu aimes ?
Ça me rend super heureuse ! Je ne saurais pas le décrire… ça me rend juste très, très heureuse !
Qualm (Ninja Tune), disponible
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