Le dernier livre de l’ancien président de la République ne manque pas d’ambiguïtés. Lui qui affirme n’avoir “aucune haine pour quiconque” se lâche tout de même beaucoup sur ses anciens rivaux et alliés tout au long des 370 pages de Passions. Développement en cinq points.
1 – Il n’éprouve “aucune haine pour quiconque” mais déteste quand même beaucoup de personnes
Nicolas Sarkozy est clair, dès les premières pages de Passions, son nouveau livre : “Je parlerai avec franchise”, écrit-il. Quelques lignes plus tard, il précise : « Je n’ai aucun plaisir à détruire. Je n’ai jamais éprouvé de haine pour quiconque ». S’il ne manque pas, dès les pages suivantes, de louer « la sincérité et la simplicité » de Brigitte Macron (« une femme de qualité »), il étrille quelques-uns de ses anciens ministres d’ouverture : Bernard Kouchner, Martin Hirsch et Jean-Pierre Jouyet. « Pour des raisons différentes, ces trois personnalités furent décevantes. Par manque de courage. Par manque d’implication et, parfois aussi, de travail. Par souci de leur propre image, ils n’allèrent pas au bout de leurs engagements, préférant constamment garder un pied dedans et un pied dehors. (…) Bernard Kouchner a un grand talent mais il voulait absolument passer pour un homme de gauche, ne comprenant pas que cette dernière ne le reconnaîtrait jamais comme l’un des siens. Jean-Pierre Jouyet est compétent et travailleur, mais il souhaite préserver ses relations avec François Hollande (…). Martin Hirsch est très habile mais il s’ingénia à mettre en œuvre une politique d’assistance bien différente de celle que je souhaitais pour le RSA. La lisibilité de son action en pâtit beaucoup ».
Page 181, Nicolas Sarkozy parle de son meilleur ennemi, qu’il n’épargne pas : « Mes relations avec Dominque de Villepin étaient étranges. On ne peut pas dire que nous nous entendions mal. (…) Ces (sic) analyses sont en général impressionnantes de fougue, de créativité, d’originalité ! En tout cas pour la partie que j’arrivais à saisir… Car fréquemment, je me trouvais quelque peu dépassé par l’avalanche de ses arguments, qu’il assénait en cascade, à flots continus, sans que nul ne puisse ne puisse l’interrompre. En fait, il soliloquait davantage qu’il ne conversait. J’écoutais alors sans tout comprendre. Mais y avait-il toujours quelque chose à comprendre ? Rien n’est moins sûr, car emporté par son propre élan, mon interlocuteur avait généralement du mal à atterrir. Il avait réponse à tout, en général, avec un brio certain. Mais les réponses ne correspondaient ni à la question, ni au sujet, ni encore moins aux faits. Ainsi est Dominque de Villepin, fréquemment ‘perché’ dans un monde où la réalité est virtuelle. »
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2 – Et pour dire du mal de quelqu’un, le mieux est de faire parler les morts
Nicolas Sarkozy a théorisé le Kansas City Shuffle (quand tout le monde regarde à gauche, tu vas à droite) comme peu auparavant. Ainsi, pour critiquer ouvertement François Bayrou, il encense Simone Veil, à la fois « charmante, attentive, amicale et tellement drôle ». Page 62, il écrit : « Elle n’avait pas un grand esprit de synthèse et surtout adorait les digressions. (…) Elle commençait par pester contre tous ‘ces imbéciles et ces lâches’ qui se mettaient en travers de ses nombreux projets de réforme de la Sécurité sociale. Elle avait deux têtes de Turc favorites : Alain Madelin et François Bayrou. (…) Le second, parce que, à ses yeux, il personnifiait ‘les trahisons successives’. Dès qu’il s’agissait de lui, Simone Veil se livrait sans retenue, racontait mille anecdotes illustrant son propos, concluant inévitablement par : ‘Et en plus, il se dit chrétien »‘ Le tout conclu dans un immense éclat de rire pour signifier l’étendue de son mépris à l’endroit de l’intéressé ».
Page 117, il décrit un déjeuner juste avant les européennes de 1999 : « Jacques Chirac avait convié à déjeuner tous les principaux dirigeants de l’opposition d’alors. Bayrou était du nombre. Philippe Séguin était, comme à l’accoutumée, assez sombre. (…) Son mutisme devenait pesant. Il ne l’interrompit que quand Bayrou eut la mauvaise idée de lui déclarer son amitié profonde, tout en confirmant qu’il ferait liste à part. C’est ce moment que Séguin choisit pour prononcer ce qui fut ses seules paroles du déjeuner. S’adressant au leader centriste, il agita sa lourde main au-dessus de son assiette avec un mouvement marqué de dédain vers son interlocuteur : ‘Ton amitié, tu sais où je me la carre !’ (…) Bayrou avait rougi de confusion mais il ne s’était pas avisé de répondre, craignant sans doute la réplique ». Bayrou a répondu à Sarkozy, dimanche 7 juillet sur LCI : « Il y a une chose qui me frappe, c’est qu’il se sert toujours, à propos de tous ses rivaux, de la même méthode : il fait parler des gens qui ne sont plus là. (…) Vous vous souvenez des mots de Jacques Chirac, il a dit, en particulier : ‘Il faut l’écraser, mais prendre soin de lui marcher dessus du pied gauche, ça porte bonheur’. On ne sait pas si vous voyez à quoi fait allusion”.
N. Sarkozy publie un livre, dans lequel il attribue des propos à S. Veil, au sujet de F. Bayrou : "Et en plus il se dit chrétien"
"Je trouve très insuffisant de faire parler des gens qui ne sont plus là" répond @Bayrou
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👉 Direct : https://t.co/bdrchz70u3 pic.twitter.com/r1ARtz33oE— LCI (@LCI) July 7, 2019
Il use du même stratagème pour évoquer la personne de son successeur, François Hollande. Page 88 il écrit : « Quand la France est cadrée, tenue, maîtrisée, elle peut éclairer le monde de sa culture, de ses valeurs, de ses idées. Dans le cas contraire, la débandade n’est jamais bien loin. La IVe République en a montré d’innombrables exemples, et que dire de certaines périodes du mandat de François Hollande, où une petite Kosovare sans papiers, Léonarda, a pu intimer l’ordre au président de la République de s’en faire remettre, le tout retransmis en direct dans les journaux télévisés, ou les épisodes du scooter de la bien nommée rue du Cirque, qui ont fait rire de notre pays, dans le monde entier. » Pourtant, page 219-220, il ne semble plus en mesure de se contenir. Ainsi à propos de la politique nucléaire de la France, il écrit : « Que l’on veuille la détruire par idéologie politique ou par posture médiatique n’est ni plus ni moins qu’un scandale. D’ailleurs, jusqu’à François Hollande, tous les présidents de la Ve République, de droite comme de gauche, ont préservé le consensus national sur le sujet. Et ce fut tout à leur honneur, le nucléaire n’étant ni de gauche ni de droite. C’était vrai, hélas, jusqu’à François Hollande qui pourra ajouter au bilan de tout ce qu’il a cassé sur l’hôtel (sic) de la petite politique la filière nucléaire française. »
C’est enfin en convoquant la mémoire de Philippe Séguin que Nicolas Sarkozy se déchausse sur François Fillon, qui fut pendant 5 ans son Premier ministre (de 2007 à 2012), page 308 : « Nous n’étions pas spécialement proches. Nous n’avions jamais été des amis au sens personnel et privé du terme, mais, à l’inverse, nous n’avions pas de contentieux. (…) C’était un proche de Séguin même si ce dernier m’avait étrangement mis en garde contre lui, ‘il n’est pas franc’, ce qui m’avait étonné ». Ce dernier ne manqua pas de lui répondre directement, dans les colonnes de Paris Match : « La passion unique de Nicolas Sarkozy, c’est Nicolas Sarkozy, déclare-t-il avant d’ajouter : Cette passion pour lui-même n’a d’égale que sa rancune pour ceux qui l’ont défié. »
3 – Il n’aime vraiment pas la magistrature
C’est une antienne chez lui. Nicolas Sarkozy ne supporte pas la magistrature. Page 79, il évoque le souvenir de la prise d’otage dans une école à Neuilly-sur-Seine en 1993 : « Alors que tous les enfants étaient sortis sains et saufs, nous fûmes violemment accusés d’avoir délibérément choisi de tuer H. B. ! Que la famille du preneur d’otages ait pu adhérer à cette thèse misérable, je peux le comprendre. L’amour a ses raisons que la raison ne connaît pas. Mais que le syndicat de la magistrature (déjà) ait voulu nous donner des leçons de respect des droits de l’Homme, pour le coup, c’en était trop. J’eus ainsi le privilège d’être autorisé par le conseil des ministres à répondre aux questions d’un magistrat qui enquêtait sur les conditions de notre intervention. »
Page 94, rebelote : « Alors que j’étais profondément ému, j’ai déclaré que le magistrat qui avait libéré le tueur Gateau ‘devait payer pour sa faute’. Ajoutant : ‘Moi, je le sais que la justice est humaine, mais ce n’est pas parce que c’est humain que l’on ne doit pas payer quand on a fait une faute.’ Que n’avais-je pas dit ! Evoquer la responsabilité d’un magistrat équivalait ni plus ni moins qu’à faire trembler les colonnes de la République. (…) Le Président reçut alors en grande pompe le procureur général près de la Cour de cassation venu défendre l’honneur de tous les magistrats de France. Drapé dans son indépendance, et sa dignité offensée, ce dernier parla beaucoup et me donna de nombreuses leçons de comportement républicain devant tous les micros qui se présentaient à lui. (…) Cette tartufferie illustre en vérité à quel point les victimes sont si peu considérées par certains corps intermédiaires, comme si leur souffrance gênait et empêcherait la République de ronronner si on leur attachait trop d’importance ! »
4 – Il a la mémoire courte concernant Nicolas Hulot
Page 228, Nicolas Sarkozy « confesse un agacement marqué à l’endroit de toutes ces postures qui se veulent vertueuses, autant que définitives ». Il prend alors Nicolas Hulot en exemple : « L’homme est certainement sympathique et sans doute intelligent. (…) Nicolas Hulot était alors très utile à la cause de l’environnement, et de la planète. L’est-il demeuré lorsqu’il eut la mauvaise idée de s’engager en politique ? Rien n’est moins sûr. Il y a d’abord eu l’épisode où il fut nommé ‘envoyé spécial pour la protection de la planète’ auprès de François Hollande. Passons sur la grande modestie du titre… Il fallait y penser, et surtout, il fallait oser. » Nicolas Sarkozy oublie que lui-même avait proposé à l’ex animateur d’Ushaïa de prendre la tête d’un grand ministère de l’Écologie et de l’Energie.
5 – Il évoque les « affaires » de manière détournée
Ce sont LES grandes absentes de ce livre. Les affaires (Paul Bismuth, Bygmalion et sur les soupçons de financement libyen de sa campagne) n’ont aucun écho dans Passions. Enfin presque, car à la page 305, il évoque les moments de campagne, les QG provisoires et l’on perçoit forcément un écho à l’affaire Bygmalion, de surfacturations de prestations à l’UMP, pour contourner la règle de seuil de financement de la campagne présidentielle de 2012. Il écrit : « A vrai dire, c’est mon équipe qui avait choisi les locaux, les fournisseurs, l’organisation interne. » Sur les soupçons qui le lieraient à Mouammar Khadafi, pour le financement de la campagne de 2007, il ne décolère pas, page 341 : « Pour la première fois, j’évoquai aussi le devoir de la France en matière de droits de l’Homme, et ma volonté d’obtenir la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien condamnés à mort en Libye par le dictateur sanguinaire Kadhafi. J’étais alors bien loin de m’imaginer que j’aurais, un jour, à m’expliquer sur mes relations supposées avec cet homme dont la raison et l’équilibre mental me sont toujours apparus extrêmement sujets à caution ». Ce qui ne l’empêcha pourtant pas de l’inviter à Paris en 2008 pour la cérémonie du 14 Juillet.