Après avoir conquis Olivier Rousteing, Gaspar Noé et le palais de l’Elysée, Kiddy Smile, figure de la communauté queer, offre aujourd’hui son premier long format qui célèbre la house et les altérités.
“Il ne faut surtout pas que j’oublie les tips !” A l’autre bout du fil, Kiddy Smile commande un petit déjeuner de sa voix grave, quoique quelque peu endormie. “Il est tôt pour moi, tu sais…”, lance-t-il d’un ton amical. Le jour de notre entretien, il se réveille à Los Angeles, où il est de passage pour la promo de son premier album One Trick Pony, dont il a parlé au Guardian et au prestigieux New York Times. Un sacre que le trentenaire a du mal à réaliser. Et pour cause : il y a moins de deux ans, le DJ, chanteur et producteur envisageait de tout plaquer, d’abandonner la musique. “J’ai choisi de vivre mes rêves, mais ces rêves ne sont pas forcément ceux pour lesquels ma famille est venue s’installer en France pour m’élever, explique-t-il. Ça a parfois posé problème.”
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Fils d’immigrés camerounais, Pierre Hache grandit au cœur de la cité de Groussay, à Rambouillet (Yvelines). Aîné de sa famille, il est élevé par sa mère, qui l’imagine médecin, et l’encourage à regarder Le Prince de Bel-Air ou le Cosby Show (des séries “dans lesquelles les familles noires étaient montrées autrement”), prenant très tôt conscience de l’importance des représentations dans le domaine de la culture. Adolescent, il tombe d’amour pour la danse, une passion qui le dévore et le conduit bientôt à apparaître dans les clips de Yelle, Tété, Magic System ou George Michael, avant de se faire un nom dans le stylisme.
Faire valoir sa personnalité
Mais c’est dans la musique, où il débute à la fin des années 2000, que Kiddy Smile finira par s’épanouir. Elle lui permet d’exposer toutes les facettes de sa personnalité : chanteur, danseur, performeur, mais aussi noir et ouvertement gay. Le succès de son morceau Let a Bitch Know en juillet 2016, fait de lui une figure de la scène voguing parisienne et l’impose comme le visage d’une communauté queer qu’il ne cesse de mettre en lumière à travers des productions house enivrantes. Des titres festifs, qui ont su parler à Beth Ditto, sa grande amie, Olivier Rousteing, aux côtés duquel il travaille pour Balmain, Gaspar Noé, qui lui a offert un rôle dans Climax, (en salle le 19 septembre), ou Pedro Winter, patron de l’écurie Ed Banger.
Au mois de juin, ce dernier convie Kiddy Smile à mixer pour une soirée organisée à l’Elysée à l’occasion de la Fête de la musique. “J’ai d’abord pensé qu’il parlait de l’Elysée Montmartre, se souvient l’intéressé. J’ai mis du temps à comprendre qu’il s’agissait du palais de l’Elysée…” Réalisant l’opportunité à saisir (“Les Noirs LGBT ne sont jamais représentés dans des hauts lieux de pouvoir”), il se vêt d’un T-shirt flanqué du slogan “Fils d’immigrés, noir et pédé”. Un geste fort, qui lui vaut de nombreux messages de soutien sur les réseaux sociaux, mais aussi beaucoup de réactions aux relents homophobes ou racistes, y compris de la part de membres de la communauté LGBT. “J’avais vraiment le sentiment de faire partie de cette communauté, et en acceptant cette invitation, je pensais agir en sa faveur, mais je me suis rendu compte que j’étais tout seul, relate tristement Pierre Hache, qui a reversé le cachet de son passage à l’Elysée à une association d’aide aux migrants. Etre noir et LGBT, c’est encore très compliqué.”
Une arme politique
Désireux de faire avancer les droits des personnes LGBT, notamment celles de sa couleur de peau, Kiddy Smile fait donc de sa musique une arme politique. Un militantisme puissant, exposé avec force sur son premier album One Trick Pony : dès les premières notes sont martelés les mots “homophobie”, “racisme” ou encore “privilèges”. Si le disque à l’ADN house s’inspire surtout de son vécu, Kiddy Smile y évoque la difficulté d’aimer (Dark Knight), l’obsession pour le sexe (Dickmatized) et le coming-out (Be Honest). Des thèmes qu’il aborde toujours d’un point de vue militant, remettant en question les standards de nos sociétés à l’égard de la sexualité. “L’idée était vraiment de raconter une expérience personnelle, commente Kiddy Smile. Mais quand tu vis une existence intersectionnée et que tu parles de toi, forcément, ça devient politique.” De sa voix grave et toujours d’un ton très amical, l’artiste conclut : “Je fais avant tout de la musique pour faire la fête et divertir les gens. Mais si je peux déboucher quelques oreilles et ouvrir quelques yeux, c’est mieux.”
One Trick Pony (Grand Music Management)
{"type":"Banniere-Basse"}