Le film de Danny Boyle, uchronie sur un monde sans Beatles, est soupçonné d’avoir plagié une BD française, avec laquelle il partage d’étonnantes similitudes – BD comportant elle-même des correspondances avec un manga et un film de Coppola.
Mercredi 3 juillet est sorti en salles Yesterday, long métrage de Danny Boyle imaginant un monde où plus personne ne connaît les Beatles, à l’exception d’un jeune auteur-compositeur qui s’approprie leurs titres, avec le succès qu’on lui imagine. A l’annonce de ce pitch uchronique plus qu’alléchant et malin, on se dit forcément qu’on aurait aimé avoir la même idée. Le problème, c’est justement que quelqu’un l’a déjà eue.
En effet, David Blot, animateur de Radio Nova, a scénarisé une bande-dessinée publiée en 2011, qui est également intitulée Yesterday. L’histoire ? Vaguement la même. On y suit John Duval, jeune français venu s’installer à New York, et qui se retrouve à voyager dans le temps, jusqu’aux années 60, avant que les Beatles n’explosent. Lui aussi vole leur répertoire, et devient une immense star, avant que cette imposture ne l’amène à culpabiliser.
Nécessairement, les deux concepts paraissent plus que proches, alors que David Blot n’a jamais vendu les droits de son œuvre, illustrée par Jérémie Royer. Dans les deux cas, le protagoniste (qui s’appelle Jack Malik dans le film de Boyle) suit le même parcours, avec la différence notable que le long métrage s’attarde beaucoup plus sur la célébrité du héros, là où la BD utilise une ellipse pour le montrer au sommet. Mais au-delà même du titre (après tout, le film aurait pu choisir une autre chanson des Fab Four), la ressemblance la plus troublante tourne autour de la petite amie du personnage principal. Dans la bande-dessinée, elle se prénomme Eli, alors que dans le film, elle s’appelle… Ellie.
A qui la faute ?
Si l’on peut ainsi évoquer le terme de plagiat pour parler d’une telle situation, on peut s’étonner qu’une telle coïncidence ait été laissée volontairement dans le scénario du film, d’autant que le prénom n’a aucun rapport direct avec les Beatles ou une symbolique logique en lien avec le sujet des deux œuvres. Serait-ce la preuve de trop oubliée par Richard Curtis, le scénariste du long métrage et la star de la comédie romantique anglaise (on lui doit Love Actually, Bridget Jones ou encore Good Morning England) ? Pas si sûr, puisque l’idée originale n’est pas de lui. En réalité, selon Screen Daily, Working Title, la société de production qui collabore depuis longtemps avec Curtis, a racheté les droits d’un script écrit par Jack Barth (crédité dans le générique de Yesterday pour l’histoire, mais pas pour le scénario). Au moment de se lancer dans la réécriture, Richard Curtis a demandé à ne pas lire le traitement complet, mais juste une page de synopsis sur laquelle rebondir.
De là à dire que Jack Barth serait responsable des similitudes troublantes avec la BD, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas. Et à vrai dire, David Blot non plus, puisqu’il n’a pas décidé de lancer de poursuites contre le distributeur Universal. En revanche, il a publié gratuitement, via son compte Facebook, sa bande-dessinée dans son intégralité, afin que le public puisse se faire une opinion.
Par ailleurs, le constat du long métrage est assez amer en ce qui concerne l’état de l’industrie de la musique, prenant une place centrale dans le scénario. Même en cherchant à copier l’intégralité de l’héritage des Beatles (y compris leurs pochettes d’albums), Jack fait face au frein d’une équipe marketing ahurie et stupide, qui ne pense qu’à travers le prisme d’une communication moderne sans aucune prise de risque. En bref, le génie des Fab Four ne pourrait pas trouver son pareil aujourd’hui. A l’inverse, la BD choisit, par son inspiration franche de Retour vers le futur, de s’attarder sur les conséquences d’une réécriture de l’histoire, et la carrière de John Duval a finalement une place assez mineure au sein de la narration.
Le plagiat mis en abyme
Le plus fascinant dans cette histoire de plagiat supposé, c’est bien sûr que l’œuvre source soit elle-même une réflexion sur le plagiat. La bande-dessinée de David Blot scrute avec beaucoup de soin les tourments de culpabilité d’un plagiaire et le fait que l’œuvre puisse devenir elle-même dans le réel l’objet d’aimantation d’un plagiaire est d’une ironie assez mordante. Dans toute cette affaire, la question du plagiat prend la tournure d’un emboîtement vertigineux de poupées gigognes, où il devient difficile de démêler qui a plagié qui.
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David Blot l’a lui-même constaté en 2011, en accordant une interview au site ActuSF autour de Yesterday. Le journaliste lui révèle qu’en 2010, soit un an avant la publication de la BD, l’auteur Kaiji Kawaguchi a développé un manga intitulé Boku wa Beatles (littéralement Je suis un Beatles), dans lequel un groupe fan des Fab Four se retrouve lui aussi dans les années 60 après un accident, évoluant face aux vrais Beatles jusqu’à les supplanter en interprétant les titres qu’ils auraient dû écrire dans le futur.
Subjugué, David Blot n’a pas caché sa surprise : « Je pense que je suis soulagé que ce ne soit pas exactement la même trame que Yesterday sinon ça m’aurait rendu fou ! En tout cas, c’est la première fois que j’en entends parler, et c’est vrai que les similitudes sont nombreuses ! Mais je pense qu’on continuera à s’exposer à cette problématique. Par exemple, actuellement je travaille le scénario du volume 2 qui tournera autour de JFK, et pile au moment où je travaille dessus, je tombe sur un article qui m’indique que le prochain bouquin de Stephen King est l’histoire…. d’un type qui voyage dans le temps et veut empêcher la mort de JFK ! Donc, je répondrais, en français dans le texte, ‘c’est la vie !’«
Signalons aussi une scène savoureuse de la comédie de Francis Ford Coppola, Peggy Sue s’est mariée (1986). Peggy Sue (Kathleen Turner), quadragénaire vivant dans les années 80, a remonté le temps pour revivre pour quelques semaines la fin de ses années lycée au début des sixties. Elle y retrouve son mari, avec qui elle a douloureusement divorcé, à l’état de jeune homme amoureux et attentionné. Vers la fin du film, alors qu’elle s’apprête à quitter pour toujours le passé, elle décide de lui faire un cadeau d’adieu. Pour lui épargner deux décennies de lose dans l’industrie musicale, elle lui donne la partition et les paroles de She Loves You des Beatles, en lui disant : « Ne cherche pas à comprendre, enregistre ça plutôt que ta musique, tu verras ça va cartonner. » Personnage en goguette dans les cerceaux du temps, appropriation en amont d’un tube des Beatles : le film de Coppola esquisse en une scène toute la trame de la BD de David Blot.
Concepts migratoires
Cette amusante saynète est-elle la matrice même inconsciente de la BD de David Blot ? Cela ferait de Peggy Sue un film source particulièrement performant puisqu’un long métrage français, Camille redouble de Noémie Lvovski (2012), reprenait largement le pitch du film (une femme quadragénaire revit l’histoire d’amour de sa vie à sa source en retrouvant ses années lycées) sans du tout créditer le scénario de Coppola.
La question de l’inspiration et de la migration des idées d’une œuvre à l’autre est complexe, pas toujours commode à discerner, et souvent une idée originale n’est que la consécration d’une dizaine d’autres empruntées ailleurs.
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Ainsi dans ce grand jeu de relais des concepts, on pourrait aussi bien dire que la scène décrite plus haut de Peggy Sue est elle-même largement empruntée à la scène de concert de Michael J. Fox dans Retour vers le futur, où le jeune homme « invente le rock’n’roll » en jouant Johnny B. Goode devant un parterre d’étudiants des fifties en émoi. Mais dans sa reprise de la chanson pas encore inventée, il dérape dans un solo de guitare un peu trop hardeux qui désarçonne son public. « Laissez tomber, vos enfants vont adorer », dit-il avec le demi-sourire de celui qui a 30 ans d’avance (et de recul à la fois).
Une chose est sûre en tout cas : contrairement à ce qu’échafaudent tous ces récits, nul besoin dans notre monde de voyager dans le temps pour se servir en toute impunité des idées des autres. Dans le grand flux intertextuel de la pop culture contemporaine, il y a de bonnes chances pour qu’une idée trouvée quelque part ait déjà été exploitée ailleurs.