Pour son premier long, Jean-Bernard Marlin filme l’histoire d’amour entre une prostituée, Shéhérazade, et un jeune homme qui devient son mac, dans les quartiers de Marseille.
Fou, noir et ultracontemporain.
Déjà récompensé par le prix Jean Vigo, Shéhérazade, présenté à la Semaine de la critique en mai dernier à Cannes, vient de remporter trois prix au Festival d’Angoulême. Pas mal pour un film réalisé et interprété par des débutants (même si Jean-Bernard Marlin avait remporté l’Ours d’or du court métrage à Berlin en 2013 avec La Fugue).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Shéhérazade est un film noir et son action se déroule à Marseille. C’est l’histoire de Zac(hary), un délinquant qui sort d’un centre de détention pour mineurs quand le film commence. Zac a une tête de lion, avec ses longs cheveux méchés de blond (Dylan Robert, une vraie découverte, plein de charisme). Zac n’en fait qu’à sa tête, c’est une tête brûlée. On le place dans un foyer, il s’en évade pour aller demander à sa mère pourquoi elle ne veut plus de lui, et se frite tout de suite avec le nouveau mec de celle-ci.
Et puis, très vite, Zac fait la connaissance d’une prostituée, qui devait être à l’école avec lui, Shéhérazade, une jolie fille qui suce son pouce quand elle est triste. Et quasiment par inadvertance, naturellement, Zac s’installe chez elle et devient son protecteur, son proxénète. D’autres filles viennent rejoindre son harem. Mais Shéhérazade reste sa préférée. On peut même dire qu’il tombe amoureux d’elle, et que ce n’est jamais trop bon, dans son métier de mac, de tomber amoureux… Zac refuse de l’admettre, fait des jaloux et ses copains, les “grands frères”, deviennent des prédateurs, alors les choses vont dégénérer.
Histoire classique, dira-t-on. Mais c’est la mise en scène et les acteurs qui emportent le morceau. Il y a d’abord quelque chose de pasolinien dans l’usage de la langue des (très) jeunes voyous marseillais (parfois, on ne comprend quasiment rien à ce qu’ils disent). Mais c’est leur candeur
qui est émouvante : ils sont violents, ne font que des bêtises, se laissent emporter par leurs sentiments, et donc par la haine et la vengeance, mais c’est qu’ils ne pensent pas beaucoup, au fond – et Zac le confie.
Marlin filme tout ça sans jugement, sans surplomb, sans complaisance non plus (le film montre la violence, ne la glorifie jamais) : la flamboyance de Zac, les rires de celle qu’il appelle “Shéhéra”… La beauté de leur jeunesse, leurs espoirs dans la vie et dans la passion. C’est fou, ultracontemporain, politique, passionné, et la fin est très belle, sans la lourdeur religieuse que peut souvent inspirer l’idée de rédemption. Comme Jacques Dutronc le disait du cinéma de Pialat : la peinture est fraîche.
Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin (Fr., 2018, 1 h 49)
{"type":"Banniere-Basse"}