Un film sur la condition des jeunes femmes dans la société patriarcale marocaine, qui évite l’écueil de la démonstration lénifiante grâce à la profondeur
et à la force de son personnage principal, en passe d’accoucher hors mariage.
Suite à un déni de grossesse, Sofia, 20 ans, se retrouve dans la situation d’accoucher hors mariage, ce qui constituerait un grave délit dans son pays, le Maroc. Pour son premier film, Meryem Benm’Barek appuie sur des points d’actualité brûlants : le patriarcat oppressif d’un certain islam, l’urgence de l’émancipation des femmes devenue un sujet majeur de l’époque suite
à l’affaire Weinstein. Le défi de Benm’Barek (comme de tout cinéaste) consiste à échapper à un traitement trop littéral de ces sujets importants, à trouver les moyens cinématographiques de les aborder.
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Dans la première partie du film, on craint le pari perdu tant le cinéma ploie sous le poids de la démonstration politico-sociologique. Sofia est donc enceinte, petite colombe engluée dans un pétrin qui la dépasse. Sa cousine Lena, de père français et de milieu grand-bourgeois, l’aide, la considérant comme une victime à protéger. De leur côté, les parents ne pensent qu’à trouver d’urgence un mari pour sauver les apparences sociales et préserver un avenir économique doré (le père est sur le point de conclure un deal important).
L’époux de bois sera de préférence recherché dans les classes populaires, plus susceptibles de produire des hommes malléables financièrement. On voit ainsi se mettre en place un dispositif où chaque personnage remplit une fonction et où l’écheveau familial, économique et sociologique enferme Sofia dans une situation ingérable. Politiquement juste, c’est cinématographiquement un brin mécanique et prévisible. Mais plus le film avance, plus il échappe à son dispositif, comme si la mise en scène épousait
le propos émancipateur de Benm’Barek.
La réalisatrice a eu la bonne intuition de coller à Sofia, à son corps mais aussi à son intériorité, à son mystère, un peu à la manière des Dardenne de Rosetta. Il apparaît ainsi petit à petit que Sofia n’est peut-être pas la fragile et blanche colombe que l’on croyait, que la supposée victime d’une société ultrapatriarcale sait aussi user des codes sociaux de son pays à son avantage, que son corps et sa volonté sont des citadelles imprenables.
Mais rien n’est sûr : comme dans un film des frères Coen, on ne sait pas jusqu’à quel degré Sofia serait la maîtresse des règles sociales tant elle garde en elle jusqu’au bout une zone d’opacité. Et c’est avec cette part d’opacité irréductible que Meryem Benm’Barek échappe au propos convenu ou à une dramaturgie prévisible et fait du bon cinéma, ce qui ne l’empêche pas de parler de la condition féminine au Maroc et, plus largement, des rapports de classe et même des effets résiduels du postcolonialisme.
Sofia de Meryem Benm’Barek (Fr., Qat., Mar., 2018, 1 h 20)
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