Reprise du film le plus fou de Sternberg : une robinsonnade moite où des soldats s’entretuent pour la seule femme de l’île.
En amont du film, il y a un épisode réel et insensé de la Seconde Guerre mondiale, apte à faire rêver tous les pourvoyeurs professionnels de fiction. Des militaires japonais sont victimes d’un naufrage dans le Pacifique et échouent sur une île volcanique. Ils y trouvent refuge pendant six ans, d’abord dans l’ignorance de la reddition du Japon et de la fin du conflit, puis dans la suspicion que la nouvelle soit une ruse de l’ennemi.
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D’une part, donc, l’exil subi des personnages. Subi mais peu à peu confusément consenti voire désiré puisque ces soldats choisissent de ne pas croire à la fin de la guerre et donc de rester sur l’île – préférant peut-être aux raffinements de la civilisation la barbarie régressive et sans censure de l’état sauvage. Et puis il y a l’exil du cinéaste, Josef von Sternberg, au bout de sa carrière américaine, qui s’empare de ce fait divers militaire pour échapper lui aussi à une censure, celle de la société hollywoodienne rabotant en tous sens, depuis des lustres, ses embardées extravagantes de grand esthète.
Invité au Japon, le réalisateur se permet toutes les audaces : comme celle d’une voix off en anglais (la sienne) qui redouble le récit, paraît par moments regarder le film et le commenter à voix haute – alors que les personnages, eux, s’expriment en japonais mais sans sous-titres, le film préférant maintenir entre eux et nous la distance d’un visiteur observant sous serre d’inquiétants reptiles toujours prêts à se battre ou à copuler.
Tout semble dangereux, instable
Fièvre sur Anatahan avance sur d’étranges sables mouvants. Tout y semble dangereux, instable, d’une toxicité suave : la végétation tropicale, le désir luxuriant des hommes, les fontaines de lumière artificielle irisant la peau de nacre des comédiens et de l’unique comédienne, le récit réduit à presque rien sinon aux préliminaires qui s’éternisent d’un gang bang qui ne dit pas son nom.
Mais surtout la forme du film, chantournée, unique, irréelle comme une jungle de studio étouffante et trop belle. Le film campe sur un territoire archaïque : le monde avant la civilisation, les hommes avant la société, l’imaginaire d’un artiste délivré dans sa forme la plus brute avant que le monde marchand du spectacle n’ait pu polir ses aspérités.
Fièvre sur Anatahan de Josef von Sternberg (Jap., 1953, 1 h 34, reprise)
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