Réédité dans sa version originale, datant de 1977, le premier album de la paire Vega/Rev se révèle plus intense et foudroyant que jamais. Seul survivant du légendaire duo new-yorkais, Martin Rev évoque pour nous ce classique inoxydable.
Tous deux natifs du Bronx, avec près de dix ans d’écart, Alan Vega (né en 1938) et Martin Rev (né en 1947) gravitent dans le sérail underground artistique new-yorkais depuis déjà un bon moment quand ils entrent en studio en 1977 pour enregistrer ce qui va devenir le premier album de Suicide – le duo qu’ils ont créé au tout début des années 1970. Vega au micro et Rev aux synthés et boîtes à rythmes, ils balancent une sorte de proto-punk électronique, primal et ascétique, spectral et magnétique.
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“Nous passions beaucoup de temps à traîner ensemble, à marcher dans les rues, se souvient Martin Rev, seul survivant du légendaire binôme depuis la mort d’Alan Vega en 2016. Nous répétions plusieurs fois par semaine dans une cave. Nous improvisions beaucoup. En général, j’apportais d’abord des parties musicales et Alan improvisait dessus des paroles à partir d’un carnet dans lequel il notait des textes.”
Ode fantomatique, conte cruel et slow salace
Jouissant d’une aura grandissante, acquise à force de concerts intenses, Suicide va notamment taper dans l’œil et l’oreille du producteur et manager Marty Thau qui signe le groupe sur Red Star Records, son label fraîchement créé. Coproduit par Thau et Craig Leon, l’album est mis en boîte en seulement quatre jours dans les conditions du live, au plus brut. “Ça a été une expérience très plaisante pour Alan et moi, un peu comme des vacances”, commente Martin Rev.
Orné d’une fameuse pochette donnant à lire le nom du groupe façon graffiti sanguinolent, l’album atterrit dans les bacs en décembre 1977. Météore aussi irradiant et foudroyant que le premier album du Velvet Underground, il dure seulement trente-deux minutes et contient sept morceaux – de Ghost Rider, imparable cavalcade syncopée dans les ténèbres, à Che, ode fantomatique à Che Guevara, en passant par Rocket U.S.A, bourdonnant missile sonore, ou encore Girl, slow salace surgi tout droit des catacombes.
Quant à Frankie Teardrop, il s’impose comme le pic glacial de l’album. Durant dix lancinantes minutes, scandées par des sons et riffs électroniques distordus, Vega y décrit la tragédie ordinaire d’un jeune ouvrier acculé au désespoir, qui tue femme et enfant avant de se suicider. Traversé de râles et hululements (dont la réverb’ amplifie l’effet), ce conte cruel moderne s’avère d’une saisissante véracité, entraînant l’auditeur dans les tréfonds les plus sombres de l’âme humaine.
Déjà réédité plusieurs fois, cet album séminal l’est de nouveau dans la collection Art of the album, dont le principe consiste à proposer un album dans sa version originale, sans morceau additionnel ni remix. Remastérisé pour l’occasion, il est accompagné d’un livret le resituant dans son contexte et retraçant sa création.
“J’éprouve très peu de nostalgie vis-à-vis de cette époque et je réécoute rarement mes albums solo ou ceux de Suicide, confie Martin Rev. Quand on réécoute d’anciens morceaux, on y trouve souvent des choses que l’on voudrait changer. Je n’en vois pas tant que ça sur cet album. Je trouve qu’il sonne toujours aussi neuf et vibrant.” On ne saurait mieux dire.
Suicide (Mute/BMG)
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