Vingt-deux ans après sa première diffusion, la sitcom culte de Canal + “H” est de retour sur Netflix et Comédie +. Malgré l’indéniable talent de ses interprètes et auteurs, la série péche hélas par un humour sexiste, misogyne et homophobe très daté.
Une faille spatio-temporelle ouverte par Netflix nous ramène dans la France de la fin des années 90. Il y a vingt-deux ans, Canal Plus se lançait dans la création de séries avec une sitcom, genre majeur de l’histoire du petit écran dont quelques spécimens comme Hélène et les garçons avaient produit leur effet au début de la même décennie. Il se trouve d’ailleurs que H a longtemps été tournée dans les mêmes studios d’AB Productions à la Plaine Saint-Denis, sans la mythique cafet’mais avec un hall d’hôpital minimaliste et volontairement pas très joli, où des moments clefs se passaient à l’accueil. Il n’est pas du tout question ici de réalisme médical, Urgences est là pour ça à l’époque, mais d’un théâtre absurde du quotidien inspiré par la grande Seinfeld.
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Créée par Abd-el Kader Aoun (futur producteur du Jamel Comedy Club, que l’on connaît aussi sous le nom de Kader Aoun), Xavier Mathieu et Eric Judor, la série débute en octobre 1998. La France a gagné la Coupe du Monde de foot trois mois plus tôt – il est d’ailleurs question des deux buts de Zinedine Zidane en finale dans plusieurs épisodes – et le pays plane encore assez haut, en s’illusionnant sur l’équipe « black-blanc-beur » symbole d’une société réconciliée. Dans ce contexte, H tombe plutôt à pic et incarne indéniablement un moment. Ses trois personnages principaux ne sont pas blancs, incarnés par Eric Judor (Aymé Césaire, infirmier obsédé sexuel), Jamel Debbouze (Jamel Driddi, standardiste) et Ramzy Bedia (Sabri Saïd, brancardier puis barman). Une visibilité absolument rarissime encore aujourd’hui dans la fiction française, où l’inclusion reste notoirement à la traîne – seule Netflix travaille la question avec systématisme, et dans une certaine mesure, Canal Plus.
La naissance d’une génération de comiques
H marque aussi l’acte de naissance d’une génération comique (Eric et Ramzy, Jamel) qui s’apprête alors à régner sur les vannes hexagonales, ce qu’on a pu appeler à la suite des Nuls « l’humour Canal ». L’idée n’est pas de mener une réflexion formelle particulière sur les gags, la réalisation de H étant largement standardisée, vite faite et pas spécialement ambitieuse – même si la série a fait appel au vétéran Edouard Molinaro (Oscar, La Cage aux folles) pour lancer la machine. Il est plutôt question de triturer le langage pendant soixante et onze épisodes, de faire dérailler la parole en multipliant lapsus et fautes de français stylisées, pour dévoiler l’impensé des personnages.
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A ce petit jeu qui requiert une bonne part d’impro, Jamel Debbouze est incontestablement le plus fort. Il a largement participé au caractère culte de la sitcom avec ses punchlines en mode répété (“Dis-moi pas que c’est pas vrai !”) et ses saillies délirantes à la rythmique ciselée. Face à lui, Ramzy Bedia et Eric Judor jouent une même partition survoltée, ce qui donne une énergie constante à l’ensemble. Dans un style plus classique mais pas moins perché, Jean-Luc Bideau joue un vieux chirurgien très fort pour tuer les patients et nier la réalité. Dans ce mélange old school/nouvelles voix, H trouve un équilibre encore capable de faire rire vingt-deux ans plus tard. On y voit aussi une forme de brouillon à l’œuvre, celui du style d’Eric Judor. Parmi les trois acteurs principaux, il est le seul à avoir co-créé la série. On repère aisément son style comique qui s’épanouira plus tard avec sa folie propre, notamment dans Platane.
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Un humour qui passe mal aujourd’hui
Mais malgré son charme évident et sa pertinence pour l’Histoire, H s’avère aussi très difficile à regarder aujourd’hui pour son traitement hallucinant des personnages féminins – qui passait tranquillement lors de la diffusion, apparemment. Les deux comédiennes principales, Sophie Mounicot (l’infirmière Clara Saulnier) et Catherine Benguigui (l’orthopédiste Béatrice Goldberg) font ce qu’elles peuvent. Elles se retrouvent la plupart du temps reléguées au rang de faire valoir comique, voire carrément de punching ball pour les blagues des autres.
Ce qui frappe, c’est l’agressivité misogyne récurrente et assumée de la série, sa manière de regarder les héroïnes mais aussi les personnages féminins invités. Il est assez rare que celles-ci puissent incarner autre chose que des cibles sexuelles ou des objets de dégoût, ramenées aux désirs des hommes et à leur apparence physique. On ne parle pas là d’une petite tendance isolée mais d’un état structurel, d’un pilier permanent du récit où l’effet “boys club” des hommes entre eux partageant leurs vannes nourrit une atmosphère problématique. Cela va des répliques lourdes (“C’est une moitié pucelle, moitié salope”) à une blague sur le viol, le tout saupoudré de percées homophobes (“T’es amoureux ou t’es pédé, toi ?”)… On peut regarder H pour l’effort comique permanent et l’aspect quasi expérimental de certains épisodes, mais son sexisme décomplexé laisse un goût amer.
H (1998-2002) saisons 1-4 sur Netflix
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