Bercés depuis leur plus tendre enfance par Ennio Morricone, Nicolas Godin (Air), Cosmic Neman (Zombie Zombie) et Chassol témoignent de l’influence du compositeur romain sur toute une génération de musiciens français.
Nicolas Godin : “Un maître de la musique continentale”
“Je fais partie d’une génération qui a grandi en écoutant ses musiques de films, notamment à travers les westerns de Sergio Leone et les films français des années 1970 qu’on découvrait sur l’une des trois chaînes de télévision. Ennio Morricone compte parmi les compositeurs qui m’ont le plus influencé, comme on peut l’entendre dans toute la discographie de Air. Ce qui m’impressionnait le plus dans son travail, c’est l’utilisation des timbres et des sonorités des instruments utilisés. C’était à la limite de l’avant-garde alors que Morricone avait suivi une formation très classique.
Sa modernité dans la production m’a toujours époustouflé. Je n’en croyais pas mes oreilles à chaque fois. Un tel fourmillement d’idées reste un mystère. Je crois savoir qu’Ennio Morricone aurait aimé être reconnu comme un musicien classique plutôt que comme un compositeur de musiques de films. Je me souviens aussi de la bande originale de The Mission ou des scores pour les films d’Henri Verneuil avec Belmondo. En 2003, quand on a réalisé l’album City Reading (Tre Story Western) avec l’écrivain italien Alessandro Baricco, j’ai réalisé mon fantasme romain autour des musiques de westerns. Par ricochet à Morricone, c’est aussi grâce à lui que j’ai plongé dans Jean-Sébastien Bach qui a nourri mon premier album solo, Contrepoint. Ennio Morricone restera le maître absolu de la musique continentale.”
Propos recueillis par Franck Vergeade
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Cosmic Neman (Zombie Zombie) : “Il y a des musiques de film qui ne fonctionnent pas sans les images. Ce n’est pas le cas de celles de Morricone”
“La musique d’Ennio Morricone, comme celle de Carpenter, a énormément influencé la musique de Zombie Zombie. C’est l’un des compositeurs que l’on découvre en premier quand on est enfant. J’ai ce souvenir, petit, du western du mardi. Un rendez-vous important dans les années 1980. C’est là que j’ai vu mes premiers westerns et, forcément, ceux de Sergio Leone. Ça fait partie des premières musiques qui te restent dans la tête : que ce soit Pour une poignée de dollars et évidemment la scène de l’harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest. Des instants qui ont marqué toute une génération. Encore aujourd’hui, les enfants retrouvent le même attachement que nous, il y a 20 ou 30 ans, aux musiques de Morricone.
Il n’y a pas que les westerns d’ailleurs, il y a aussi Le Professionnel, avec Belmondo, par exemple. Film grand public qui marque. A l’adolescence, j’ai aussi regardé mes premiers films d’horreur avec les copains le week-end et un en particulier, The Thing, de John Carpenter. Qui reste un de mes films préférés. Cette musique de Morricone ! Ce que tu découvres par la suite, c’est que, d’une certaine façon, c’est Morricone qui fait du Carpenter ici. Une particularité dans la carrière de Morricone. Une musique très minimaliste, mais jouée avec un orchestre. C’est merveilleux. Plus récemment, quand il fait la musique des Huit salopards, de Tarantino, la scène d’ouverture avec la diligence dans la neige, c’est clairement un hommage à The Thing et la musique est très proche. Il boucle la boucle en injectant cette musique dans un western contemporain.
J’aime beaucoup cette manière de bosser à l’ancienne. Il travaillait très vite, quand tu arrives à Rome pour enregistrer, l’orchestre est prêt, il écrit les partitions et c’est enregistré dans la journée. Je ne sais pas si ça existera encore cette façon de travailler dans le futur. C’est une entreprise incroyable. Un peu comme pour Carpenter, quand Zombie Zombie avait fait l’album de reprises de ses thèmes, ce qui nous avait marqués c’est la puissance de l’écriture de ses thèmes. Ce sont des musiques qui fonctionnent sans les images et c’est également vrai pour Morricone. Les mélodies ont une base simple, mais tu les retiens. C’est comme un tube dans la musique pop. Ça reste dans la tête. Il avait cette force unique. Il était imbattable. Il y a des musiques de film qui ne fonctionnent pas sans les images. Ce n’est pas le cas de celles de Morricone.”
Propos recueillis par François Moreau
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Chassol : “Un compositeur savant et populaire”
“Ennio Morricone est celui qui m’a donné envie de devenir compositeur. J’ai passé des milliers d’heures à relever ses grilles d’accords depuis que je suis adolescent. J’ai poncé sa musique au point de tout connaître des passages instrumentaux et des dialogues dans les westerns de Sergio Leone. Morricone avait trouvé à composer de la musique sophistiquée avec seulement trois natures d’accords différentes. Dans l’histoire de la musique, c’est très rare d’arriver à quelque chose d’aussi savant et populaire. N’importe quel musicien peut jouer une partition de Morricone. Parmi toutes ses bandes originales de films, Il était une fois la Révolution est sans doute ma BO fétiche. Le titre I Figli Morti me touche au plus profond de mon cœur quand la caméra zoome sur le visage de Rod Steiger découvrant que tous ses fils sont morts. C’est la plus belle chose que je connaisse. Je suis aussi très sensible au générique de Mon nom est Personne. J’avais aussi relevé toute la bande-son d’un autre western de Sergio Leone, Le Bon, la Brute et le Truand, et décortiqué L’Histoire d’un soldat pour la radio. Grâce à son apport considérable au cinéma et à sa manière de rendre accessible sa musique pourtant si complexe, Morricone a énormément infusé dans la pop music.”
Propos recueillis par Franck Vergeade