Alex Berger, producteur du “Bureau des légendes” et connaisseur de l’écosystème sériel, dresse un état des lieux des bouleversements en cours.
Après un parcours qui l’a mené de RMC à Canal+ et Vivendi, le producteur franco-américain du Bureau des légendes, Alex Berger, a été le premier en France à importer la méthode américaine d’industrialisation des séries en association avec Eric Rochant. Il a remis dernièrement un rapport au CNC sur la fiction française qui propose de « remettre l’écriture au centre » tout en se préparant aux changements radicaux qu’implique la montée en puissance de Netflix.
De quelle frustration est né votre rapport sur les séries françaises, qui vise à préparer tout un secteur à la montée en puissance de Netflix ?
Alex Berger — L’idée a été de dire : arrêtons de regarder les trains passer. Cessons de regarder vers les Israéliens, qui ont dix fois moins de moyens que nous mais exportent dans le monde entier, ou vers les Scandinaves qui ont imaginé un écosystème régional.
Avec Le Bureau des légendes, notre intention a été claire : faire une saison par an, avec une exigence différente de ce que l’on avait l’habitude de voir en France. Après avoir observé le travail de Todd A. Kessler, showrunner de Damages, il y a plus de dix ans, Eric Rochant et moi nous sommes demandé comment adapter la méthode U.S. avec une writers room (salle d’écriture – ndlr) qui implique plusieurs scénaristes travaillant sous la direction d’un showrunner.
Nous avons mis en place un système pyramidal très formaté. Quand on débute une saison, il faut déjà penser à la suivante, pouvoir alterner montage et tournage, procéder à des arbitrages constants… Le succès du Bureau des légendes prouve qu’il est possible de placer l’écriture au centre. Ce n’est pas le cas historiquement en France. Notre culture venue du cinéma privilégie les auteurs-réalisateurs depuis la Nouvelle Vague.
https://www.youtube.com/watch?v=T9uRZI556Ps
Les séries françaises sont-elles prêtes à faire leur révolution ?
Nous en sommes encore parfois à constater le “phénomène” des séries. Mais nous avons déjà perdu la bataille commerciale globale contre les plateformes et les studios américains. Je milite fortement pour l’exception culturelle. Je suis né aux Etats-Unis et j’ai choisi de vivre et produire ici. Cela étant, le système de financement venu du CNC a été fabriqué pour des films.
Nous devons évoluer rapidement concernant les séries. Il va falloir bien comprendre d’où vient ce que les plateformes et les studios voudraient imposer, le “copyright“, qui contredit la répartition collective des droits d’auteur. L’économie de la série pourrait devenir de plus en plus pauvre en France, si tout appartient à d’autres. Avec Le Bureau des légendes, nous avons adapté les paramètres américains à notre droit du travail.
https://www.youtube.com/watch?v=rUaXkNxbHQ8&
Au départ, il a fallu faire de la pédagogie, prévenir Canal + que le coût serait d’environ 30 % supérieur. C’est spécifique à notre désir, mais d’autres peuvent s’en servir pour dépasser la culture du prototype et penser au-delà de la France, qui longtemps n’a fait des séries que pour elle-même. Nous n’avons pas un marché constitué de la même manière que les Américains, mais c’est crucial de comprendre leur système pour ne pas être dévorés.
“Quand le système français sera repensé, les choses seront plus équilibrées”
L’installation d’un bureau parisien de Netflix et l’objectif d’une quinzaine de séries par an vers 2021 impliquent un changement pour toute la chaîne de la fiction. Mais la plateforme n’a pas encore produit de série française à la hauteur de ses ambitions…
Je ne suis pas fan d’Osmosis et Marseille était un ratage énorme. Il n’y a pas encore d’effet made in France à la Casa de papel. Des producteurs, dont je fais partie, vont proposer et proposent à Netflix des projets. Ma société The Oligarchs Productiosn est dans une bonne position, avec un succès reconnu dans cent pays. Mais si on veut parler de tout le monde, c’est loin d’être facile.
Quand le système français sera repensé, les choses seront plus équilibrées. Jusqu’à présent, chacun s’est dit “on verra demain” mais demain, c’est maintenant ! Pour les institutions françaises, la télé a longtemps été un art mineur. Sauf que le public veut de plus en plus d’histoires récurrentes.
Les services du ministère de la Culture ont lu mon rapport au CNC. En 2022, si Canal + diffuse douze séries originales, ce qui serait déjà fou, et que Netflix, Apple, Amazon, Disney et Warner ensemble en proposent quarante pour la France, notre réalité sera radicalement différente. Autant savoir ce qui nous attend et réagir tout de suite.