Un collectif d’artistes musiciens venant de toute l’Afrique s’est réuni pour un clip coup de poing contre le Franc CFA. Rencontre à Dakar avec des artistes qui veulent tourner définitivement la page de la colonisation et sensibiliser la jeunesse africaine à une dépendance économique qui freine le développement du continent.
“On ne veut plus du Franc CFA, l’histoire est en marche et nul ne l’arrêtera. Ce ne sont plus des murmures mais la clameur de la rue !” C’est un cri d’indépendance poussé en pleine Coupe du Monde. Dix artistes venant de sept pays du continent africain se sont réunis pour réclamer la fin du franc CFA dans un clip tourné dans les rues bondées de Dakar et posté sur YouTube le 19 juin dernier. Tour à tour, en wolof, bambara, anglais ou français, chanteuse sénégalaise, reggaeman ivoirien ou bien encore slameur béninois, lèvent la voix en faveur d’une cause commune : l’indépendance monétaire de l’Afrique.
Au début de l’été, dans une petite brasserie au pied de l’hôtel de ville de Dakar, nous avons rencontré Fabien Frébourg du label Amoul Bayi Records (qui signifie “ne jamais abandonner” en wolof), l’une des personnes à l’origine du projet. “L’indépendance du Sénégal remonte à 1960 mais les pays d’Afrique francophone continuent d’être tenus économiquement avec cette monnaie, analyse-t-il. On a tous conscience de l’aberration de la situation et l’on a voulu réagir.”
Pour ce faire, ce label engagé a mobilisé tout son appareil logistique (drone …) et a réussi l’exploit de faire venir des artistes venant de tous les pays francophones d’Afrique de l’Ouest et centrale où le franc CFA est encore en circulation dans la capitale du Sénégal pour tourner ce clip de sept minutes.
La monnaie des colonies françaises
De sa création en 1945 aux déclarations dépendances dans les années 60, le franc des colonies françaises d’Afrique (CFA) a longtemps permis une gestion et un contrôle économique des territoires par la métropole. Rebaptisé “franc de la Communauté financière africaine” en Afrique de l’Ouest et de “la coopération financière” en Afrique centrale lors de la décolonisation, cette monnaie continue d’être utilisée par 155 millions d’habitants issus de 14 pays de l’Afrique subsaharienne. Pour une partie croissante de la population, elle est logiquement perçue comme un instrument de dépendance économique. Dans une interview au Monde, l’économiste Kako Nubukpo, ancien ministre togolais de la prospective, expliquait que les pays de la zone franc avaient l’obligation de déposer 50 % de leurs réserves de change auprès du Trésor public français ce qui a pour conséquence de freiner considérablement le développement de ces pays.
Depuis quelques mois, la contestation monte dans les rues de la capitale sénégalaise. Beaucoup ont en mémoire le geste de Kémi Séba, il y a tout juste un an. Le samedi 19 août 2017, cet activiste controversé avait brûlé un billet de 5 000 francs CFA sur la place de l’Obélisque à Dakar à l’issue d’une manifestation contre la “Françafrique”. “Avec ce geste polémique et son expulsion du pays, il a relancé le débat contre le Franc CFA, commente Fabien. Nous, on préfère se placer sur le créneau de la musique. On a cherché à mettre des moyens de production à la hauteur du message que nous souhaitions véhiculer. Et le premier objectif c’était de réunir des artistes venant de tout le continent car cette monnaie, c’est un problème panafricain puisqu’il concerne 14 pays.”
https://www.youtube.com/watch?v=e1_mBhyt0QE
« Le Franc CFA entretient une économie sous-développée »
Aux côtés de Fabien se tient le chanteur de reggae malien, Jah Moko, qui a participé au projet. Depuis qu’il a 16 ans, il s’interroge sur les ressorts de cette dépendance économique. “Je n’ai jamais compris pourquoi malgré la décolonisation, nous étions encore contraints d’utiliser cette monnaie. Le Franc CFA entretient une économie sous-développée et reste une tâche pour l’Afrique. Les pays occidentaux ne peuvent pas reprocher à nos jeunes de vouloir immigrer chez eux alors qu’ils nous maintiennent dans un état de dépendance économique et financière.”
Venu de Bamako pour participer au clip, il explique qu’il n’a eu aucun mal pour trouver les mots pour aborder ce sujet. “Chacun a fait son texte dans son coin mais c’est comme si nous avions tous écrit ensemble. On n’a pas répété la même chose et chacun a parlé sincèrement comme si l’on avait écrit un livre ensemble. Tout venait du cœur.”
Pour Fabien, ce morceau qui vient de dépasser la barre des 28 000 vues peut permettre de conscientiser la jeunesse africaine. “L’engouement populaire va donner de la motivation à la lutte, assure-t-il. Ici, les gens sont dans la survie. La révolte est presque un luxe quand tu te lèves le matin et que tu ne sais pas encore comment tu vas nourrir ta famille le soir. Si cette chanson rentre dans les têtes, c’est déjà beaucoup.” Jah Moko poursuit : “Le morceau va être diffusé dans toute l’Afrique. Nous ne serons pas relayés à la télévision ou à la radio mais on sait que progressivement par le bouche-à-oreille, ce morceau va toucher les jeunes. Ils sont déjà conscients que le Franc CFA a tué et continue à tuer. C’est le dernier cordon de la colonisation”.
Avec Frantz Fanon et Thomas Sankara
Le clip de sept minutes débute sur le toit d’un immeuble de Dakar. Trois jeunes assistent à une conférence entre Alassane Ouattara, Macky Sall et Emmanuel Macron. Cette promiscuité politique est révélatrice à leurs yeux de la continuité sous d’autres formes de ce que l’on a appelé “la Françafrique”. “Il ne fait pas de doute que beaucoup de nos dirigeants sont des pantins de la France”, regrette ainsi la rappeuse sénégalaise Moona.
En attendant de se débarrasser de cette perfusion monétaire, la jeunesse africaine se raccroche à ses icônes. Le clip débute par une citation de Frantz Fanon (“Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir”) et se conclut par des images d’archives de Thomas Sankara, le président révolutionnaire du Burkina Faso, tombé sous les balles d’un commando en 1987. Un assassinat dont les circonstances demeurent encore mystérieuses plus de trente ans plus tard.
“Nous ne sommes plus à l’époque des Mobutu où l’on pouvait museler une nation ignorante, conclut Fabien. A l’ère d’Internet, la jeunesse africaine a conscience que son pays continue d’être exploité et qu’il est temps de se libérer des chaînes du colon. »