Fraîchement débarquée sur la plateforme de streaming, « Family Business », dans laquelle Jonathan Cohen veut transformer une boucherie casher en coffee shop, se perd dans un humour régressif bas du front. Un nouveau raté, symptomatique de l’incapacité qu’a Netflix à proposer une série française de qualité.
A l’heure où la fine fleur de la production sérielle hexagonale, de Dix pour cent à Hippocrate, emporte les suffrages du public et de la critique, Netflix semble bien incapable de dénicher sa pépite française. Ce n’est pourtant pas faute d’essayer. En 2016, l’accident industriel Marseille ouvrait le bal boiteux des créations originales Netflix made in France. Nous revient, de sinistre mémoire, le badbuzz généralisé qui avait suivi sa diffusion, et le florilège de répliques affligeantes tirées de la série, largement moquées sur la toile. En 2018, Plan cœur tentait péniblement de poser son ambition de romcom générationnelle 100 % parisienne, mais s’avérait incapable de prendre le pouls de son époque – et de sa jeunesse – autrement qu’en enquillant les clichés. Cette année, ce ne sont pas moins de trois productions françaises qui sont venues gonfler le catalogue toujours plus international du géant américain du streaming. Après Osmosis, série d’anticipation maladroite et désincarnée, et Huge in France, production franco-américaine navrante pilotée par un Gad Elmaleh en roue libre, c’est au tour de Familly Business de tenter de sauver la patrie. Nouvelle tentative… et nouvel échec. Aux armes citoyens ?
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Weed casher
Lorsqu’il apprend d’une amie un peu azimutée – fille du ministre en charge du projet – que le cannabis sera légalisé en France d’ici trois mois, Joseph Hazan (Jonathan Cohen), entrepreneur loser qui enchaîne les plans foireux, tente de convaincre son père (Gérard Darmon), propriétaire d’une boucherie casher en plein cœur du Marais, de transformer l’échoppe familiale en coffee shop familial. Soucieux de ne pas finir, comme son paternel, à la tête d’un boucherie que guette le dépôt de bilan – en grande partie à cause de ces « bâtards de vegans » – Joseph entend faire de sa « beucherie » (rires) un temple de la fumette précurseur, et un commerce potentiellement juteux. Encore faut-il convaincre ledit paternel – vieux bonhomme aigri peu favorable aux changements, endeuillé par la mort récente de sa femme – du bien fondé de son entreprise. Après quelques tractations fumeuses, l’intervention inopinée d’Enrico Macias et un voyage interlope à Amsterdam, la famille Hazan se lance dans le commerce de la weed, contrainte de manœuvrer illégalement en attendant que la légalisation soit officiellement prononcée.
Une famille (ou un de ses membres) confrontée à des difficultés financières qui se reconvertit dans le commerce de la drogue, c’est le pitch, presque devenu un genre en soi, d’une palanquée de séries américaines, de Weeds à Disjointed en passant par Breaking Bad et Ozark. En se frottant à l’exercice, Family Business n’échappe pas à la redite, et peine à instiller un soupçon d’originalité à son programme balisé. Mais loin de ne s’abreuver qu’à une seule source, la série pioche aussi allègrement dans la grande marmite de la comédie made in France, et fait de sa galerie de personnages très identifiés, le passage en revue paresseux des dernières séries comiques à succès.
Mauvaise herbe
Révélé dans Les Invincibles, sympathique série adulescente produite par Arte, avant de devenir le visage familier de shortcoms estampillées Canal + (Bref, Bloqués, Serge le mytho), Jonathan Cohen prête son air ahuri et son débit mal-assuré au personnage de Joseph, mais peine à se défaire de ses anciens rôles, transformant sa partition en exercice auto-caricatural peu convaincant. Quant à Gérard Darmon, s’il nous arrache bien un sourire lorsque le patriarche acariâtre qu’il campe devient un fumeur de ganja pantagruélique, les hésitations systématiques de sa voix caverneuse, et les grognements unidimensionnels qu’il adresse au monde entier finissent par lasser. Liliane Rovère joue la grand mère au caractère trempée et au grand cœur, remake du rôle qu’elle tenait dans Dix pour cent, tandis que Julie Piaton incarne la cadette de la famille, dont l’homosexualité, calée au chausse-pieds, dissimule péniblement sa vocation d’inclusion un peu volontariste. Sa romance avec une gendarme alors que la famille fait pousser une forêt de beuh dans une grange à quelques mètres d’un centre de ball-trap rappelle « curieusement » la relation contrariée entre Andrea et Colette dans… Dix pour cent, encore elle.
Mais l’échec cuisant de Family Business tient moins à son casting recyclé qu’à son écriture indigente. Rivés à un humour scatologique bas du front, les dialogues flirtent parfois avec la bêtise, et sont hachés d’un flot d’insultes niveau cour de récréation. A chaque incartade, quelqu’un prescrit à son prochain « d’aller se faire enculer » tandis que le ressort comique d’un personnage de caïd affreusement convenu, fraîchement sorti de prison, tient aux « ferme ta gueule » qu’il aboie ad nauseam à chacune de ses interventions. Dans le registre de la finesse, on a aussi le droit à une scène de coming out lesbien dans laquelle le personnage de Julie Piaton, pour figurer son homosexualité, déclare ne pas être fan de merguez (rapport à la boucherie, voyez-vous). « Oh, mais c’est bien aussi, les moules« . Subtil.
Passé ce constat, la série créée par Igor Gotesman – qui avait déjà commis Five, comédie médiocre dans laquelle un jeune bourgeois campé par Pierre Niney s’improvisait dealer – se contente de dérouler son récit cousu de fil blanc, avec ses retournements situations censément cocasses (mais finalement consternants), et ses guets en roue libre (Enrico Macias et Valérie Damidot) rejouant leurs propres rôles dans un registre auto-parodique confinant au malaise. Loin de nous faire planer, Family Business a tout du bad trip.
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