Un documentaire diffusé cette semaine sur Arte retrace la vie carcérale et l’évasion d’un des protagonistes de Congo
La première apparition d’Antoine Vumilia dans un film d’Arnaud Zajtmann et Marlène Rabaud, Meurtres à Kinshasa, date de 2011. Au péril de sa vie, il cache une caméra dans la couverture de sa Bible pour filmer la prison Makala de Kinshasa où il est enfermé depuis dix ans, condamné à mort pour trahison, comme des dizaines de prisonniers originaires, comme lui, du Kivu à l’Est du Congo, après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président de la RDC, Joseph Kabila.
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Etudiant en théâtre, Antoine Vumilia abandonne ses études en 1997 au Zaïre pour rejoindre le mouvement révolutionnaire contre Mobuto mené par Laurent Désiré Kabila et, après la chute du dictateur, devient agent de renseignement du nouveau pouvoir. Il déchante vite et réalise que les dictatures se succèdent plus sûrement que les lendemains de révolution ne garantissent la liberté. En prison, il écrit et récapitule son expérience : « Douleur sans densité. Crime sans nom. Ainsi le viol de nos intelligences se déroule sur un tapis de promesses révolutionnaires. »
Et puis se produit l’impensable, même s’il est le devoir de tout prisonnier : l’évasion. « Antoine Vumilia, Vumi pour les intimes, était une de mes bonnes sources en prison alors que j’étais correspondant permanent en RDCongo pour la BBC et France 24, se souvient Arnaud Zajtmann. Nous étions en montage du documentaire Meurtres à Kinshasa lorsque nous avons appris l’évasion de Vumi. Vu les images étonnantes qu’il avait réussi à tourner clandestinement dans la prison, il nous a semblé évident qu’il y avait un autre film à faire, non plus sur l’assassinat de Kabila, mais sur la vie dans cette prison qui n’avait jamais été filmée auparavant. De plus, lorsque Vumi s’est retrouvé en clandestinité à Brazzaville et qu’au lieu d’attendre discrètement d’être relogé dans un pays tiers, il est monté sur scène pour raconter son histoire, il nous est apparu qu’on tenait un personnage hors du commun et qu’il fallait réaliser son portrait, ce que nous avons fait avec ce film, Adieu l’enfer. »
On y suit Vumi, de son procès en 2001 à sa survie dans la prison Makala où croupissent encore 50 prisonniers politiques, jusqu’à son évasion, maquillé et habillé en femme par sa nièce Genèse (la seule scène reconstituée du film) et sa traversée du fleuve Congo pour rejoindre Brazzaville où le HCR lui octroie le statut de réfugié politique. Un an se passe avant de lui trouver un pays d’asile, la Suède, où il vit depuis septembre 2011 avec ses deux enfants. Les images de la prison sont terrifiantes. Vumi :
« Elle est organisée comme le pays lui-même sur la base de la corruption, de l’hypocrisie et de la violence. Le personnel pénitentiaire n’a pas le pouvoir de contrôler, ce sont des prisonniers, bandits de grand chemin nommés Comité d’encadrement par la direction, qui exercent un contrôle total sur la vie de tous les prisonniers. »
On y voit le Comité d’encadrement tabasser des prisonniers, des petits voleurs qui peuvent attendre des années avant de voir un juge, mourir de malnutrition. A Makala, il faut payer pour tout, pour manger, pour dormir, pour survivre. On découvre la cellule de Vumi, sa table et ses livres, ses précieux livres qu’il emmènera à Brazzaville puis en Suède : Proust, Céline, Hesse… Il raconte sa peur permanente d’être exécuté, ses écrits ou son smartphone découverts. Mais on le voit aussi recevoir la visite de ses enfants, se faire beau pour eux et souriant… Dans son livre Congo, l’auteur belge David Van Reybrouck consacre un chapitre à sa rencontre avec Vumi dans la prison de Makala qu’il résume en ces mots : « Dans l’imagination populaire, Makala représente tout ce qui fait peur et horreur au Congolais. (…) Makala est l’endroit où l’Etat montre ses crocs venimeux, un lieu sombre, noir de fumée, qui dégouline de sang et de mort. »
Même reconstituée, la scène du maquillage avant l’évasion est impressionnante. Vumi : « Je transpirais tellement, de peur qu’on nous surprenne, qu’il a fallu recommencer plusieurs fois le maquillage. » Genèse, pour attirer sur elle le regard des gardiens, a pris soin de mettre une robe courte et ils passent sans difficulté le barrage des quatre gardiens avant de se retrouver à l’air libre. « Maman, tu peux partir », est la dernière parole qu’entendra Vumi de la bouche d’un gardien. Premiers instants de liberté :
« Je suis dehors, je marchais dans le sable tout doucement. Je revenais au monde, au vrai monde. »
Qui, pour Vumi, est synonyme de théâtre. A Brazzaville, il adapte, met en scène et joue la pièce de l’Ivoirien Amadou Koné, De la chaire au trôn. Et se prépare au départ, loin de chez lui : « Je suis heureux d’être en liberté mais le prix à payer, c’est l’exil. » Une déchirure qui passe dans le regard gros de chagrin de sa fille à la veille du voyage en Europe et clôt le film mieux que toute parole. Aujourd’hui, Vumi parle couramment le suédois et vient de finir l’écriture d’une pièce, L’Odyssée d’un fantôme, l’histoire de ses dix dernières années, qui doit être mise en scène au KVS de Bruxelles en 2013.
La décision d’Arte de programmer ce film au moment même où, à Kinshasa, François Hollande doit présider le sommet de la Francophonie est plus qu’opportun. Pour Arnaud Zajtmann, « Joseph Kabila, réélu frauduleusement l’an dernier, cherche à obtenir une nouvelle légitimité en accueillant ce sommet. La France ne veut pas pratiquer la politique de la chaise vide. On attend cependant un message fort de la part de Hollande, notamment sur la question des droits de l’homme. Sur ce sujet, il y a plusieurs dossiers emblématiques sur lesquels la France pourrait peser, notamment sur ces 50 innocents qui croupissent en prison pour l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila depuis dix ans. Je sais de source sûre que Joseph Kabila sait pertinemment que les personnes condamnées ne sont pas complices de l’assassinat de son père mais il a besoin de boucs-émissaires à présenter à la population pour asseoir son propre pouvoir. On peut attendre du président socialiste qu’il rappelle à son homologue congolais qu’en France, la division gauche-droite s’est construite sur le cas emblématique d’une injustice d’Etat : l’affaire Dreyfus et que, après bien des atermoiements, cette injustice a été réparée. Hollande aura-t-il ce courage politique ou fera-t-il profil bas comme ses prédécesseurs, espérant que sa mansuétude à l’égard de l’ex-Zaïre apportera à la France d’hypothétiques contrats ? »
Un point de vue proche de celui de Vumi qui considère que la diffusion du film Adieu l’enfer « pourra résonner comme un bémol au milieu ou à côté des dithyrambes narcissiques que se feront les dinosaures de la francophonie politique. Sans chercher à gloser sur l’utilité ou pas de ce sommet pour les Africains, je considère que la tenue de celui-ci à Kinshasa confirme que la Françafrique a la dent bien plus dure qu’on ne le pensait. Quand j’ai entendu François Hollande parler de la « diplomatie économique » aux ambassadeurs de France, j’ai cessé de me faire des illusions. » On le comprend.
Adieu l’enfer d’Arnaud Zajtman et Marlène Rabaud, le 13 octobre, 18h35, sur Arte.
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