Et si Better Call Saul était comme l’épure de Breaking Bad ? Démonstration avec une saison 4 qui, avec son personnage principal d’une autre époque, est formellement ultramoderne.
Dans un an, Better Call Saul aura vécu cinq saisons, soit autant que son aînée Breaking Bad. Dans deux ans, elle l’aura même certainement dépassée, puisque la chaîne AMC a exprimé son désir de continuer à la faire vivre. Ces mathématiques sont vertigineuses. Vince Gilligan, créateur des deux séries – associé ici à Peter Gould, pilier de sa salle d’écriture depuis une décennie –, était considéré comme un allumé incapable de prendre des vacances quand il a imaginé un prequel aux aventures de Walter White, le prof de chimie loser devenu baron de la drogue. Prendre le risque de vivre dans l’ombre de ce que beaucoup considèrent comme un chef-d’œuvre, voire de minorer rétrospectivement son aura, n’avait rien d’évident. Il faut pourtant se rendre à l’évidence : Better Call Saul déjoue les pronostics avec aplomb.
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On rappellera aux retardataires que la série raconte la vie et l’œuvre de l’avocat Saul Goodman, un type qui arbore un (faux) diplôme de l’université des Samoa américaines, c’est-à-dire pas vraiment Harvard. Depuis trois saisons, la fiction le saisit au temps où il s’appelait encore Jimmy McGill pour suivre sa transformation en spécialiste des criminels les plus pathétiques et/ou dangereux, avec ce bagou supersonique que l’on a connu dans Breaking Bad.
Une transformation sur le long cours
Durant la troisième saison, Jimmy a commencé à utiliser son nouveau pseudo. Mais les choses avancent doucement dans Better Call Saul. La série a beau montrer – comme sa devancière – la perte de l’innocence d’un homme banal, la transformation du héros se joue sur le long cours, dans la douleur, cette douleur étant le sujet. Breaking Bad, de son côté, avait réglé la question avec moins de sentiments – très vite, White tuait un homme, très vite, il devenait irrécupérable.
De l’univers de la série originale, on retrouve plusieurs figures connues toujours actives dans cette quatrième saison de Better Call Saul, de l’inquiétant trafiquant Gus Fring au panda violent Mike Ehrmantraut, homme de main dont Jimmy/Saul a fait son allié et son passeport pour une mauvaise vie. Mais la série, dans sa constitution même, n’est pas seulement vouée à raconter l’histoire de Breaking Bad avant Breaking Bad.
D’une certaine manière, Vince Gilligan réussit ici ce qui obsédait Walter White quand il fabriquait de la méthamphétamine : la recherche d’une matière pure
Elle incarne surtout un approfondissement de ce modèle de base, dont elle pique les tics et les motifs en les rendant plus évidents. D’une certaine manière, Vince Gilligan réussit ici ce qui obsédait Walter White quand il fabriquait de la méthamphétamine : la recherche d’une matière pure. Better Call Saul se regarde comme la version pure de Breaking Bad, d’une transparence infinie.
C’est parfois fascinant, comme la scène magnifique dans un entrepôt qui égaie le premier épisode de la quatrième saison avec une touche de burlesque contenu. C’est aussi potentiellement étouffant, car systématique et programmatique en diable. Dans Better Call Saul, l’extension du domaine de la scène s’impose comme un principe inébranlable. Tout est étiré au maximum, soupesé, livré à nos yeux dans sa forme la plus intense. L’art du détail (un geste peut avoir des conséquences inimaginables) occupe tout l’écran. Le monde est un réseau de signes à décrypter.
A la fois ultramoderne et passée de mode
Il faut avoir envie de décrypter ces signes et tout est fait pour que nous y parvenions, car la série crée moins de mystères qu’elle ne façonne des énigmes à délier patiemment. Spectateurs et spectatrices captifs y trouvent souvent leur compte, sans toujours forcément voir ce qui se joue vraiment : une forme de fiction à la fois ultramoderne (peu maîtrisent le récit en série comme Gilligan) et absolument passée de mode. On imaginait le mythe de l’antihéros masculin, qui a façonné les grandes séries des années 1990-2000, mort avec Breaking Bad et Mad Men il y a plusieurs années.
Pourtant, il revient ici sous les traits d’un garçon certes émouvant – en plein deuil dans ce début de saison 4, Jimmy est un animal isolé et fragile – mais dont on a l’impression qu’il existe hors de son temps. Avec des personnages féminins plus ou moins décoratifs et des thèmes tragiques uniquement liés à l’ego de son protagoniste, Better Call Saul s’impose comme une très bonne série des années 2000.
Better Call Saul Saison 4 sur Netflix
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