Sorti ce mercredi, « Le Monde est à toi » est un condensé de street culture. Cette fascination pour une culture populaire banlieusarde ou provinciale et le plus souvent viriliste, Romain Gavras l’a développée dans son travail de clippeur pour Kanye West et Jay Z, M.I.A., Justice, Jamie XX et DJ Mehdi. Nous avons donc analysé ses cinq meilleurs clips au regard des liens qu’ils entretiennent avec son second long-métrage.
Rien ne le prédestinait à s’intéresser de manière aussi obsessive à la rue et à ses codes. Troisième et dernier enfant du réalisateur Costa Gavras et de la productrice Michèle Ray-Gavras, Romain s’est dirigé vers un univers aussi éloigné que possible de celui de la grande bourgeoisie de gauche à laquelle appartient sa famille. Son grand frère, Alexandre, et sa grande soeur, Julie, ont suivi des parcours plus sages. Alexandre a fait une prestigieuse école de cinéma, a été nommé aux César pour son second court-métrage avant de devenir producteur (il a notamment produit le récent Jusqu’à la garde de Xavier Legrand). Julie s’est illustrée par son travail de documentariste. Son dernier film, l’excellent Les Bonnes Conditions, montre comment le milieu de naissance, en l’occurence le milieu bourgeois, influence l’entrée dans la vie d’adulte. Ce désir de questionner son milieu social, Romain l’exprime aussi, à sa manière.
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Son oeuvre, ses films autant que ses clips, racontent la fascination d’un garçon de bonne famille pour un ailleurs, un déclassement vers un milieu plus populaire, celui des cités, des voitures tunées, du rap et de la colère face à l’autorité de l’Etat et l’abandon des pouvoirs publics. A travers le collectif indépendant Kourtrajmé puis avec ses clips et enfin ses films, le réalisateur de 37 ans s’est érigé en grand imagier de cette culture urbaine fantasmée, d’une certaine idée du cool. Le film fait corps avec les clips, en décline les motifs en obéissant à une impressionnante cohérence. Parmi la douzaine de clips réalisés par Romain Garvas, nous avons sélectionné les cinq meilleurs, en tentant de dégager les correspondances qu’ils entretiennent avec Le Monde est à toi.
1. Bad Girls – M.I.A. (2012)
Second clip que Romain Gavras réalise pour la chanteuse britannique, le féministe Bad Girls n’a pas pris une ride. Son renversement de la domination masculine du Moyen-Orient prenant la forme d’un gang de femmes effectuant des cabrioles en voiture devant un public masculin attentiste est toujours aussi jouissif. Tourné à Ouarzazate au Maroc et récompensé aux MTV Music Awards, Bad Girls est le terreau de plusieurs motifs de Le Monde est à toi. On y retrouve d’abord le coté artificier et tête brulée d’un auteur qui n’a pas peur de jouer avec les codes de l’Islam. Du point de vue des costumes, il est remarquable de noter à quel point la tenue de M.I.A., faite de parures en toc et de foulards dorés, est complètement transposable à celle que porte Isabelle Adjani. D’ailleurs, le gang de voleuses qu’elle forme avec ses copines dans le film peut tout autant porter le qualificatif de bad girls. Enfin, l’un des derniers plan du film, nous montre un petit garçon roux (et albinos?). S’il n’a pas de lien direct avec Le Monde est à toi, cette préoccupation capillaire (et pigmentaire) se retrouve dans d’autres clips de Romain Gavras.
2. Gosh – Jamie XX (2016)
Dernier clip en date de Romain Gavras, Gosh se situe juste derrière Bad Girls. Après le Moyen-Orient, il confirme son attrait pour une imagerie mondialisée en inscrivant son clip à Tianducheng, une ville-fantôme chinoise ayant la particularité d’obéir à une logique de duplitecture à la sauce française : elle reproduit d’emblématiques monuments parisiens, dont une Tour Eiffel d’une centaine de mètres de haut. Y évolue un albinos en survêtement blanc entouré de 400 écoliers chinois en survêtement noir et tous peroxydés sur le sommet du crâne. Les analogies avec Le Monde est à toi sont ici multiples. A l’artificialité du territoire de Gosh répond celle de la cité balnéaire de Benidorm en Espagne où se déroule toute la seconde partie du film. On y retrouve également les barres d’immeuble filmées au drone et le gang de jeunes peroxydés (dans le film blacks et plus asiatiques).
3. No Church In The Wild – Kanye West et Jay Z feat. Frank Ocean (2012)
Plus violent que les deux clips précédents, No Church In The Wild reprend d’abord le dispositif du début d’Une Chambre en ville de Jacques Demy (1982). Des manifestants déchainés font face à un peloton de CRS. Mais contrairement à la révolte étouffée du film de son ainé, les insurgés de Romain Gavras matent les forces de l’ordre à grand coup de cocktails molotov et d’ultra-violence. Le réalisateur y dresse une analogie entre la révolte contemporaine de jeunes immigrés contre l’Etat et la Révolution française, filmant barricades, charge à cheval et statues grec en plein centre de Paris. Il finit par faire de cette révolte une sorte de fête, une boite de nuit baignée de rayon lazer et de fumigène. Si les liens avec Le Monde est à toi sont ici plus tenus, le clip et le film partagent une fascination pour le feu (d’artifices), le chaos, la culture télévisuelle et la violence.
4. Stress – Justice (2007)
Tels les droogies d’Orange mécanique (1971), un gang de jeunes détruisent tout sur leur passage dans Stress, le clip ultra-violent que Romain Gavras a réalisé pour les français de Justice. Vêtus de bombers marquées du logo christique du groupe, ils harcèlent, vandalisent, volent et casent tout ce qui leur passent sous la main. Dans une esthétique de caméra cachée, Romain Gavras les suit à travers Paris, des marches du Sacré Coeur aux HLM désaffectés où ils habitent. Si on retrouve le feu, les cocktails molotov et les barres d’immeubles en ruine déjà évoqués, une séquence du clip se retrouve dans le film, celle d’un saccage du mobilier – d’un bar dans le clip, de l’appartement du personnage de la mère incarné par Isabelle Adjani dans le film – à grand coup de matraque télescopique.
5. Signatune – DJ Mehdi (2007)
Plus tendre, Signatune, réalisé pour le regretté DJ Mehdi, s’inscrit dans la province plutôt que Paris. Mais ce déplacement géographique ne change rien aux préoccupations de Romain Gavras : filmer un fantasme de culture populaire sans tourner le dos aux clichés. Ici, on suit un jeune homme vivant encore chez ses parents, habitant une petite ville industrielle du nord de la France. Il partage son temps libre entre musculation dans sa chambre d’ado et concours de SPL (Sound Pressure Level). Au volant de sa voiture tunée, il a rendez-vous avec d’autres participants sur un grand parking pour comparer la puissance du système son de leur auto. Signatune peut être vu comme un embryon de Le Monde est toi. Les mêmes parents d’origine modeste y couvent trop longtemps un vieux garçon pétrit des codes de la culture populaire et dont les rêves n’ont, contrairement à certains de ses potes gangsters, rien de démesuré. Leur petite victoire : avoir le meilleur système son ou parvenir à exporter les Mister Freeze au Maghreb.
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