Dans Who Is America?, Sacha Baron Cohen piège des personnalités en se faisant passer, par exemple, pour un ex du Mossad ou un youtubeur fasciste.
C’est la série dont tout le monde parle, mais que personne ne regarde. Comme Twin Peaks: The Return l’été dernier, Who Is America? combine des audiences très faibles et un impact culturel inouï du fait de ses répercussions dans le réel, de la viralité de certains extraits et du nombre de commentaires qu’ils suscitent. La comparaison entre ces deux séries de Showtime s’arrête toutefois ici : l’une est un chef-d’œuvre, l’autre une petite machine à buzz bien anecdotique – on vous laisse deviner l’ordre.
Le nouveau projet de Sacha Baron Cohen est un reality-show d’un genre désormais bien identifié, seize ans après son séminal Da Ali G Show, qui avait donné lieu à trois longs métrages : Ali G, Borat et Bruno. Il s’y agit toujours pour le comique anglais de se grimer et de tendre des pièges à des cibles de choix. Exit le rappeur blanc, le reporter kazakh et le gay autrichien, place à six nouveaux personnages : un professeur de gender studies, inclusif jusqu’à la caricature, un bloggeur trumpiste et complotiste, un artiste brut à peine sorti de prison, un photographe-philanthrope italien, un youtubeur finlandais régressif et fasciste, et surtout un ancien agent du Mossad expert en contre-terrorisme.
C’est ce dernier personnage, de loin le plus puissant et le plus troublant, qui vaut à la série sa célébrité. Dans la peau de cette brute débonnaire, à l’accent rugueux et au visage de marionnette des Guignols, S. B. C. obtient en effet de ses interlocuteurs, tous piochés dans la frange la plus extrême des républicains ou de la NRA (le lobby des armes), des réactions sidérantes – précisément celles reprises par les médias, jusqu’à par exemple obtenir la démission d’un député qui utilisa son fessier dénudé comme arme antijihadiste… Chaque semaine, un ou deux fachos se font ainsi humilier devant la nation hilare.
Le clown ne fait trembler aucune ligne
Mais au-delà de ce personnage, et d’une poignée d’autres sketchs, Who Is America? déçoit. Car en effet, à quoi sert de parodier le réel lorsque celui-ci dépasse déjà la parodie ? Donald Trump, par sa diction, par ses outrances, par son visage plastifié, n’est en rien différent d’un personnage du show, et la moitié du pays qui reçoit chaque jour son obscénité en offrande n’a que faire des moqueries de l’autre moitié, drapée dans sa supériorité morale. Le clown ici ne fait trembler aucune ligne – si ce n’est, à la marge, lorsqu’il caricature gentiment le camp progressiste avec son prof de gender –, il les bétonne (à l’inverse de quelqu’un comme Andy Kaufman).
Plus problématique encore, il manque à la règle essentielle de ce genre de docu-piège : le montage interdit, cher à André Bazin. En surdécoupant ses interviews, en les résumant à quelques punchlines bonnes à buzzer – sans doute parce qu’il a au fond peu de matière exploitable, la plupart des gens ne mordant pas, ou peu, à l’hameçon –, il leur ôte toute force, et s’adonne à la manipulation la plus crasse. Le sens, l’intelligence et la drôlerie ne peuvent éclore que dans la durée. Et le souffle de Sacha Baron Cohen, hélas, est désespérément court.
Who Is America? Sur Showtime