Le 16 août 2018, la reine de la soul est morte à Detroit à l’âge de 76 ans. Il y a cinquante ans, elle avait conquis le monde de la soul-music et gravé de multiples standards.Le 16 août 2018, la reine de la soul est morte à Detroit à l’âge de 76 ans. Il y a cinquante ans, elle avait conquis le monde de la soul-music et publié de multiples standards.
Janvier 1967 marque un tournant dans la carrière d’Aretha Franklin. Quelques mois auparavant, elle a décidé de ne pas renouveler son contrat avec Columbia. Elle signe alors avec Atlantic Records où elle rejoint Ray Charles. Ce changement de maison de disques fait office de révélateur puisque elle infléchit de manière décisive le destin de la native de Memphis. Exit le jazz qu’elle pratique depuis six ans, elle choisit de mettre ses quatre octaves au service de la soul qu’à l’instar de Brother Ray elle va gorger de gospel et de spiritual.
Dans les mythiques studios de Muscle Shoals, Alabama, elle commence à forger sa légende en gravant ses premiers classiques dont un premier 45-tours royal : I Never Loved a Man (The Way I Love You) en face A, Do Right Woman Do Right Man en face B. Le 10 mars, elle publie son premier album également titré I Never Loved a Man (The Way I Love You) et commence à enchaîner les numéros 1 dans les charts avec son single initial mais aussi grâce à Baby I Love You et Chain of Fools.
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Surtout, dès sa première année de contrat, elle enregistre le morceau qui deviendra son hymne, sa signature. Elle s’empare deux ans après son enregistrement par Otis Redding de Respect dont elle accélère le tempo et frénétise les vocaux. Elle en modifie à la marge, et pour l’essentiel, quelques paroles et surtout y ajoute le « R-E-S-P-E-C-T » qui lui confère une puissance maximale. Son hymne devient celui de la lutte pour les droits civiques et un manifeste féministe immarcescible.
Une voie royale vers l’accession au trône
La profusion et la densité de cette année 1967 peut apparaître d’emblée insurpassable. Il ne s’agit pourtant que d’une montée en puissance, le début de la voie royale jusqu’au trône qui fera d’elle la Queen of Soul. En effet, au cours de ces années-là, on ne chôme pas dans l’industrie du disque et ce sont pas moins de trois albums qui seront gravés dans la cire en 1968. Et quels albums ! Deux en studio qui restent à jamais des pierres angulaires du rhythm’n’blues, Lady Soul et Aretha Now et son tout premier live Aretha in Paris.
https://www.youtube.com/watch?v=6FOUqQt3Kg0
Ainsi, l’année 1968 de la diva commence dès le 22 janvier, date de parution de Lady Soul, sorte de quintessence de la Southern Soul bien qu’enregistré dans les studios new-yorkais d’Atlantic Records. Aux côtés de la chanteuse et de Jerry Wexler, producteur de l’ensemble, une équipe de choc : aux chœurs, les deux sœurs d’Aretha, Erma et Carolyn, ainsi que The Sweet Inspirations, quatuor fondé par Emily Cissy Houston, mère de Whitney ; au saxophone, le génial King Curtis et pour assurer la plupart des parties de guitare, Bobby Womack.
Le tout débouche sur un premier classique comprenant deux de ses plus grandes tubes : Chain of Fools, destiné à l’origine à… Otis Redding et déjà paru en single l’année précédente, et (You Make Me Feel) Like a Natural Woman qui reprend tout à la fois la veine romantique I Never Loved a Man (The Way I Love You) et la part revendicative de Respect dans sa manière de sublimer l’épanouissement féminin. En cette année charnière dans la lutte des droits civiques, qui verra Martin Luther King assassiné, Aretha Franklin propose sa version de People Get Ready, freedom song canonique de Curtis Mayfield enregistrée à l’origine avec The Impressions.
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Aretha Franklin, Martin Luther King et mai 68…
En février, elle reçoit le premier des ses vingt Grammy Awards et le 16 un prix de la Southern Christian Leadership Conference remis par Martin Luther King, ami de longue date du père d’Aretha qui hébergeait le chantre de la révolution pacifiste lors de ses séjours à Détroit (dont le plus mémorable reste celui de la marche pour la liberté le 23 juin 1963 où il prononça un discours dont nombre d’éléments alimenteront son célèbre « I Have a Dream »). Cinq jours après l’assassinat de Martin Luther King à Memphis, Aretha Franklin interprétera la chanson préférée du “King of Love”, Precious Lord Take My Hand, s’ancrant ainsi dans la grande histoire autant que dans celle de la musique.
En mai 1968, comme chacun sait, Paris est en ébullition. Au lendemain d’une première journée de manifestations ponctuées de jets de pavés et de barricades, Aretha Franklin se produit à l’Olympia le 7 mai 1968. Une prestation exceptionnelle au sens propre du terme : la diva soul avait ses faiblesses et sa phobie de l’avion explique la rareté de ses concerts sur les scènes européennes. En tout cas, la captation live conforte la salle du boulevard des Capucines dans son statut de place forte de la soul US.
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Un an plus tôt, le 21 mars, Otis Redding occupe la même scène, ce qui donnera lieu à son premier, et malheureusement dernier, live (Live in Europe) puisqu’il mourra neuf mois plus tard. Pour l’anecdote, le précieux document s’ouvre avec Respect, morceau qui, un an plus tard, clôt le show de Aretha in Paris.
Quant à la légende noire de l’Olympia, elle verra sa collection se compléter avec Stax/Volt Revue Live in Europe qui immortalise, outre quelques morceaux d’Otis Redding, les performances de Booker T & The MG’s, Eddie Floyd, Carla Thomas et the Mar-Keys. Suivront le Live in Paris Olympia 1971 d’Ike & Tina Turner et sa malaisante autant qu’hallucinante version fellatoire du I’ve Been Loving You Too Long (Otis Redding encore et toujours) quand on sait le contexte de violence conjugale dans lequel il a été exécuté, ou encore le Love Power Peace (1971 toujours) de James Brown où, fait rare, l’interminable partie de piano de Sex Machine est jouée à la guitare.
L’année où Aretha refuse Son of a Preacher Man
Mais revenons en 1968, un mois après Aretha à Paris, quand paraît le 14 juin Aretha Now qui lui vaudra, fait alors rare pour une femme afro-américaine, la couverture de Time Magazine. Mêmes studios, même équipe et même réussite éclatante. Aretha Now comporte pour la deuxième fois de l’année son duo de tubes immortels : Say a Little Prayer où elle renoue avec son passé de chanteuse de gospel et Think qui lui permettra de trouver un nouveau public en 1980 grâce à une apparition inoubliable dans The Blues Brothers de John Landis.
https://www.youtube.com/watch?v=Vet6AHmq3_s
1968, l’année du sans faute ? Presque… Cette année-là, la désormais Queen of Soul commet un seul faux pas : elle refuse une chanson qui semblait être prédestinée à la fille de pasteur qu’elle était : Son of a Preacher Man qui fera le bonheur d’une jeune Anglaise blanche à la voix soul parfaite, Dusty Springfield qui l’enregistrera dans la ville natale d’Aretha Franklin comme l’indique le nom de son album Dusty in Memphis. Aretha Franklin, elle, finira néanmoins par la reprendre deux ans plus tard sur l’album This Girl’s in Love with You. Cinquante ans ont passé depuis et le 16 août 2018, la triste nouvelle est tombée : the queen is dead.