Dans un beau récit, Vanessa Schneider revient sur la vie de sa cousine, l’actrice Maria Schneider, morte en 2011, cramée par la drogue et les années 70.
Schneider est un nom de famille qui, selon l’état de la psyché française et son histoire, évoque d’abord un marchand de canons du XIXe siècle, puis une marque contemporaine d’électroménager. Mais quand on singularise ce nom par des prénoms, on peut rebondir sur Vanessa, romancière et journaliste au Monde, et surtout sur Maria, qui fut une actrice éphémère mais fameuse. L’une est la cousine de l’autre. Vanessa est bien vivante, Maria est morte en 2011 à 58 ans, des suites d’une vie tortueuse.
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Ce genre de ricochet est le moteur du récit que Vanessa consacre à cette Maria, aînée et mal-aimée. Un rebondissement à la surface des souvenirs personnels ou familiaux, un lien parfois rompu mais in fine tenace, qui unissait les deux femmes. Vanessa, gamine dans les années 1970, Maria, célèbre à tout juste 20 ans par la grâce infernale du Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci, où, en 1972, elle partage la vedette avec Marlon Brando. Une célébrité qui aveuglera tout le reste, notamment ses autres films et non des moindres, comme Profession : reporter d’Antonioni. Un rôle qui, comme on dit, la marquera à vie.
Le Dernier Tango à Paris : un tabou familial
Bertolucci et Brando s’étaient mis d’accord pour ne pas prévenir la jeune actrice d’une scène clé de sodomie, et ainsi filmer sa véritable terreur alors que l’actrice croit que Brando, s’emparant d’une plaquette de beurre pour faciliter sa saillie, va la violer. Vanessa Schneider rappelle que les excuses de Bertolucci furent tardives et mitigées, et que l’atteinte fut autant intime que publique. Maria dut endurer pendant des années l’apostrophe mâle d’un “Passe moi le beurre!”, allusion à la fameuse scène particulièrement insultante. Autant la traiter de pute. Bien des dépressions en découlèrent, “soignées” par l’abus d’alcool et de drogues. Les cicatrices furent aussi celles des shoots partout sur son corps.
Bien que prévenant que dans la famille Schneider, “le Tango est une zone interdite qu’on ne peut approcher”, Vanessa vient et revient sur l’obsession de ce film “à scandale”, consacrant quelques lignes au quotidien Libération dans lequel elle a appris à lire avant d’y écrire. Libération, son journal, notre journal, qui, le lendemain de la mort de Maria Schneider, eut la fausse audace de la montrer à sa une, “poitrine nue et offerte, bestiale, objet sexuel”. Et Vanessa Schneider d’exprimer en toute simplicité sa colère froide : “Parce que tu étais autre chose que ce corps exhibé. Parce qu’on ne représente pas les morts ainsi. Parce que jamais un journal n’aurait choisi, pour accompagner une nécrologie, l’image d’un homme dévêtu.”
A propos de Maria, il y a des photos, des coupures de presse, des lettres, qui sont un puzzle où manquent quelques pièces que Vanessa enfonce au marteau : “Une vie de souffrances et de lutte harassante contre une enfance trop lourde à porter. Un parcours qui fait écho à celui des femmes de notre famille, une trajectoire que j’aurais pu suivre, que nous aurions pu suivre, nous, les autres cousines, si tu ne t’étais pas, d’une certaine manière, sans le savoir ni le vouloir, sacrifiée pour nous.”
Des plages d’humour fou
Même si la réhabilitation de Maria est puissante et bouleversante, elle n’est pas le carburant de ce livre tout feu tout flamme. Aucune prise d’otage aux sentiments, pas l’ombre d’un chantage au vécu. Le portrait est autant celui d’une femme perdue et éperdue, chiante et hilarante, “plutôt belle et rebelle, que moche et remoche”, comme elle le disait elle-même, qu’une randonnée dans un paysage social et politique aujourd’hui évaporé.
Celui des années 1970 et de ses communautés plus ou moins hippies et follement maoïstes, où les parents de Vanessa prospèrent à la petite semaine en attendant le grand soir de la Révolution, ou moins naïvement, une aurore où les chiens de garde cesseront de mordre.
En découlent des plages d’humour fou, sans que la lucidité aille pour autant s’égarer dans la nostalgie. C’était un âge d’or proche du plomb ou en tout cas du gênant, pour une petite Vanessa d’à peine 10 ans dans les années 1970 et qui se rêvait réglo, surtout à l’école.
Pavane pour une star défunte
Du vestiaire familial, elle décrit “des sapes colorées venues d’ailleurs, des nuisettes anciennes trouvées aux puces et teintes par ma mère dans la baignoire en faïence pour les transformer en robes, des peaux de moutons qui sentent trop fort et des pulls tricotés main qui grattent. Je ne sais pas bien qui nous sommes, si nous sommes riches ou pauvres, blancs ou noirs, bourgeois ou prolétaires.”
Mais de cette incertitude parfois angoissante naît un formidable chant d’amour : pour Maria, la cousine parfois bête qui déboule dans le HLM familial pour y guigner ou voler de quoi payer sa dose, pour ces parents baroques, pour les membres annexes, dont l’oncle Jean, frère aîné du père de Vanessa, qui soûle son monde avec ses récits d’homosexuel dessalé. “C’est drôle quand on y pense, j’ai couché avec Brando vingt ans avant que Maria ne fasse le Tango !”
Drôle c’est vrai, mais pas marrant non plus. Idem pour les pièces rapportées avec quelques révélations chamboulantes sur la figure complexe de Daniel Gélin, père discret de Maria, ou sur la gentillesse d’Alain Delon et la fidélité de Brigitte Bardot, qui, jusqu’à la mort, se tint droite et secourable aux côtés de Maria. Tu t’appelais Maria Schneider est une pavane pour une star défunte mais aussi un encouragement pour les femmes (et les hommes) d’aujourd’hui. Féminin à coup sûr, féministe sans le hurler. “Parce que cette histoire est aussi la mienne, qu’elle a forgé ce que je suis, qu’elle m’appartient. Pas plus, pas moins qu’à vous.” Gérard Lefort
Tu t’appelais Maria Schneider (Grasset), 256 pages, 19 €
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