A partir de centaines de témoignages recueillis en terre vendéenne, l’écrivain baroudeur François Beaune exalte dans son nouveau livre la fiction d’une France en voie d’extinction.
Cet hiver, la littérature se met au vert. Dynamisée par les belles plumes de Simon Johannin, Cécile Coulon ou Emmanuelle Pagano, la rentrée s’écrit au grand air et se conjugue au rural. Tendance vivifiante que ce vent de terre qui nous porte loin des villes mais nous apporte le décoiffant et décoiffé François Beaune. Le Clermontois, Marseillais d’adoption, fait paraître aujourd’hui Une vie de Gérard en Occident, une quatrième fiction, provinciale et hilarante, façonnée d’échos vendéens et d’anecdotes de bocages.
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Tout commence en 2014. Le gosse Beaune revient tout juste d’une grande épopée méditerranéenne qui l’a poussé jusqu’aux ruelles de Ramallah, via Alger, Barcelone ou Athènes. A chaque nouvelle destination, l’écrivain a recueilli bavardages, témoignages, récits et commérages d’autochtones.
Puis il a coupé, corrigé, ordonné et un livre est né : La Lune dans le puits (Verticales, 2013), “autobiographie imaginaire d’un seul et même individu-collectif”. L’idée a tellement plu à l’écrivain légataire des mille et une histoires vraies qu’il a décidé de remettre le couvert. Mais en Vendée, cette fois-ci.
Deux ans de collecte sur internet et sur le terrain
Sous l’égide de la scène nationale du Grand R de La Roche-sur-Yon, François Beaune a ouvert le site Histoires vraies de Vendée, confessionnal en ligne des chuchotements du Grand Ouest français. D’un clic, on y poste ses secrets ou ses souvenirs, une blague ou un mensonge, qu’importe : “Une histoire vraie est vraie tant que la personne qui la raconte la considère comme vraie”, indique le romancier. Un seul mot d’ordre : faire bref.
“Une mythologie intime” du pays de Rabelais
En deux ans de collecte sur internet et sur le terrain, plus de cinq cents récits ont été moissonnés, tressant “une mythologie intime” du pays de Rabelais et offrant une balade dépaysante et poétique aux surfeurs de la toile. Bienvenue à Sainte-Flaive-des-Loups chez Odette, Saint-Pierre-le-Vieux chez Daniel, à la Génétouze chez Gilbert.
Bienvenue surtout à Saint-Jean-des-Oies chez Gérard Airaudeau. Le héros gouailleur de Beaune qui donne son titre au roman – puisque c’est bien d’un roman qu’il s’agit. Gérard ? Un gars du cru, “chouan pas réfractaire” élevé au bon grain, passé par les usines du coin avant les plans de licenciement et la délocalisation.
C’est pour une certaine Marianne, l’élue locale qui rêve d’en voir, des “vraies gens”, que Gérard s’est mis en quatre pour organiser une soirée typiquement vendéenne. Frites maison et trou normand au menu. En attendant que tout le monde rapplique, Gérard boit l’apéro avec Aman, un réfugié érythréen qu’il a accueilli sous son toit. “Tu reveux une bière, Aman ?”
Une existence made in France profonde
A travers le “je”, l’auteur déroule la vie de “Monsieur Tout-le-Monde” de son Gérard du 85 : ses amis, ses amours, ses emmerdes. Reflets cocasses, tragiques ou tendres d’une existence made in France profonde. Sur 280 pages, Gérard jacte, Aman boit et le lecteur jubile.
Car aux confessions de comptoir, le narrateur ajoute quantité d’anecdotes de terroir. Sur l’air coluchien du “c’est l’histoire d’un mec”, il convoque toute une galerie de personnages aux tribulations ordinaires : Patrick l’inventeur de “tas de trucs qui ne marchaient jamais. Le professeur Tournesol, sans les cheveux sur le côté, qui aurait pris cinquante kilos”. Geoffroy, le beauf du “genre à se vanter d’avoir croisé Drucker”.
Et puis Bernadette, “une fan de De Villiers, poster du Puy du Fou, cœurs vendéens de partout, grande supportrice de Le Pen, comme son mari”, qui malgré ça accueille chez elle le petit Toufik qui, “en plus d’être pauvre et arabe, faisait pipi au lit”. Portrait kaléidoscopique d’une humanité complexe tissé au fil des fragments de vie de legrandr-histoiresvraiesdevendee.com.
“Un seul et même individu-collectif”
Une vie de Gérard… ne s’appelle pas “La Vie de Gérard…” et ce n’est pas un hasard. Comme dans son ouvrage précédent, François Beaune croque ici “un seul et même individu-collectif”. Son Gérard Airaudeau est tous les Gérard de France, et sa voix est portée par les variations de millions d’autres. Ces baby-boomers hors agglo souvent caricaturés : français, blancs, chrétiens, qui disent “sur” Nantes et à qui l’on attribue, au faciès, un vote de droite, un penchant pour l’alcool ou des tendances sécuritaires.
Mais au-delà des clichés et des procès précipités, ce que fait tonner ici le romancier, avec l’humour en garde-fou, c’est la parole de cette France patrimoniale en voix d’extension. Cette France des prolos, des agriculteurs, des ouvriers : ces “vraies gens” de 50 ans et plus qui, à l’heure du déclin de la paysannerie, de la désindustrialisation et de l’urbanisation galopante, risquent de n’être plus bientôt qu’une obsession de candidat en campagne. En attendant, François Beaune déclame son roman sur scène et devrait le décliner à la radio. On n’a donc pas fini d’entendre parler (de) Gérard. On se reprend une bière ?
Une vie de Gérard en Occident (Verticales), 278 pages, 19,50 €
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